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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion
Autoren: Ron Hansen
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sourirai. »
    C’était un vieil électricien cadavérique aux cheveux blancs
travaillant pour l’administration pénitentiaire de l’État de New York qui,
depuis 1926, tenait le rôle de bourreau. Robert Elliott était assez reconnu
pour qu’on eût fait appel à lui dans le Massachusetts pour l’exécution de Sacco
et Vanzetti, mais il n’avait jamais électrocuté de femme et il lui faudrait
endurer la vision éprouvante des convulsions de Ruth entravée pendant qu’il
ajustait le voltage – trop faible, elle grillerait douloureusement sans en
mourir ; trop élevé, elle serait hideusement brûlée et son cerveau réduit
à l’état de bout de charbon. Elliott recevrait cent cinquante dollars pour ses
services, mais il confessa à un reporter : « J’ai une sainte horreur
de ce boulot. J’espère que ça mettra un terme à la peine capitale dans l’État
de New York. »
    La presse à scandale avait prétendu que Ruth voulait mourir
habillée de dessous en soie noire qu’elle conservait dans la malle en cèdre de
sa mère, ainsi que d’une robe en soie noire qu’elle avait souvent portée pour
aller à des soirées avec Albert. Mais en réalité, elle ne voulait rien qui pût
lui rappeler ses frasques et son libertinage qui, estimait-elle, l’avaient
conduite là où elle était. Une fois dans sa cellule du « dancing », elle
demanda à McCaffery d’aller chercher son shampooing qu’elle avait oublié, puis,
sous la vigilance d’une surveillante, elle se lava les cheveux en pleurant dans
la douche. Elle enfila ensuite une culotte bleu ciel, des bas noirs comme de
l’encre et une jupe verte de grosse toile qui lui tombait au genou – on
lui avait donné pour instruction de ne rien porter au-dessus de la taille afin
qu’il fût plus facile d’écouter son pouls. Elle glissa les pieds dans ses
chaussons en feutre, puis revêtit une épaisse blouse noire semblable à la robe
d’intérieur qu’elle mettait pour faire le ménage. La seule vanité qu’elle
s’autorisa fut un coup d’œil dans un miroir rectangulaire afin de peigner sa
chevelure mouillée en arrière de manière à dissimuler sa tonsure. Elle ne se
mit même pas de Shalimar.
    Le père McCaffery avait endossé sa soutane noire lorsqu’il
fut invité à revenir dans la cellule. Il drapa son étole violette sur ses
épaules tel un joug, s’assit à côté de Ruth sur le lit et se pencha vers elle
pour l’entendre chuchoter l’ultime confession de ses péchés. « Il n’y a
rien de plus solitaire que la mort, lui affirma apparemment le confesseur. Même
Jésus s’est senti abandonné sur la Croix. » Ruth reçut l’absolution et
l’extrême-onction. Elle s’agenouilla pour accepter l’hostie du viatique. Puis
McCaffery se campa sur le seuil de la cellule pour réciter l’office des morts
en latin. Quelques minutes plus tard, John Sheehy, le gardien principal, se
présenta et annonça : « L’heure est venue. »
    Ruth flageola sur ses jambes, mais les surveillantes la
soutinrent. Elle s’en voulut de ne pas réussir à retenir ses larmes. On
l’entraîna avec douceur vers le couloir qu’on surnommait « les derniers
mètres », «  the last mile  », et elle parvint à tituber en
avant, ânonnant : « Ô Seigneur, prends pitié de moi. » Elle
serrait contre elle un grand crucifix.
    Bien qu’il fît froid, qu’il fût tard et qu’il n’y eût pas
grand-chose à voir, une foule importante s’était rassemblée devant la porte
principale de Sing Sing, surveillée par quatre gardiens armés de fusils. Des
enfants étaient juchés sur les épaules de leur père, des adolescents avaient
escaladé les arbres, les journalistes, assis sur les marchepieds de leur
voiture, fumaient des cigarettes en attendant la fusée éclairante qui
annoncerait le premier décès. Certains badauds s’aventurèrent dans un champ de
neige pour contempler la glace qui flottait sur l’Hudson enténébré.
    Zoe Beckley, qui écrivait pour Famous Features Syndicate,
l’agence de presse publiant les mémoires de Judd sous forme de feuilleton,
était la seule femme qui s’était portée volontaire pour assister aux
exécutions. Elle avait expliqué à Lewis Lawes qu’elle souhaitait voir mourir
Mrs Snyder, mais éprouvait un conflit d’intérêts concernant Mr Gray,
si bien qu’elle désirait sortir quand on introduirait ce dernier ; Lawes
refusa et elle fut remplacée par un homme.
    Ainsi, à son entrée dans la
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