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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes
Autoren: Marie NDiaye
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dans le crépuscule que les
contours d’une face ronde et bienveillante, il lui semblait
parfois être revenue au temps de son enfance qui, bien que
brutale, enténébrée, confuse, avait connu de ces moments
presque heureux, lorsque Khady s’asseyait aux pieds de sa
grand-mère, le soir devant la maison, afin d’être coiffée.
    Juste avant la nuit Lamine arrivait.
    Il se coulait dans la cour pareil, songeait Khady avec un
brin de pitié et de dégoût, à un chien qui redoute la bastonnade mais craint plus encore de trouver sa gamelle vide
— à la fois voûté et véloce, furtif et âpre, et Khady comme
la femme feignaient de ne l’avoir pas remarqué, elle par
délicatesse, la femme par mépris, et Lamine ramassait l’assiette pleine et l’emportait dans la chambre de Khady où la
femmel’autorisait, ou du moins ne le lui défendait pas, à
passer la nuit, à la condition implicite qu’il eût dégagé dès
l’aube.
    Avant de rentrer dormir, la femme remettait à Khady
une petite partie de l’argent gagné.
    Khady se retirait à son tour, retrouvait la chambre rosâtre éclairée par une faible ampoule crasseuse suspendue à
la tôle.
    Elle avait alors l’impression, en voyant Lamine, auparavant si énergique, accroupi dans un coin et raclant l’assiette de sa cuiller, que toutes ses douleurs la rattrapaient.
    Car à la honte sans remède du garçon que pouvait-elle
opposer sinon l’évidence un peu lasse de son propre honneur à jamais sauvegardé, la conscience un peu lasse de
son irrévocable dignité ?
    Il eût préféré peut-être la voir humiliée, désespérée.
    Mais il avait seul la charge de l’humiliation et du désespoir et Khady sentait qu’il lui en voulait sans s’en rendre
compte, c’est pourquoi elle aurait aimé, le soir, qu’il ne fût
pas là encombrant l’espace réduit de ses amertumes, de ses
reproches muets, obscurs et injustes.
    Elle savait aussi qu’il lui avait de la rancune qu’elle
refusât maintenant de faire l’amour avec lui.
    La raison qu’elle se donnait à elle-même et qu’elle avait
dite au garçon était que son sexe boursouflé, ulcéré avait
besoin de repos.
    Mais, elle le pressentait, également ceci : Lamine avait
honte d’elle et pour elle tout autant qu’il avait honte de
lui.
    Elle en était contrariée.
    De quel droit l’incluait-il dans ce sentiment d’abjectionqu’il éprouvait, lui, parce qu’il n’avait pas sa force
d’âme ?
    Aussi refusait-elle de se laisser toucher, peu désireuse
d’avoir mal pour le contenter.
    Elle s’écroulait sur le matelas, silencieuse, fatiguée.
    Ce que faisait le garçon de ses journées solitaires dans
la ville suffocante, desséchante, il ne lui importait pas de
le savoir.
    Elle sentait venir sur ses lèvres une moue renfrognée qui
devait décourager toute velléité de discussion.
    Cependant que, ses doigts se tendant machinalement
vers le mur pour en caresser les crevasses et les bosses, et
juste avant que le sommeil l’emporte, un sursaut de joie
sauvage faisait trembler son corps rompu comme elle se
rappelait soudain, feignant de l’avoir oublié, qu’elle était
Khady Demba : Khady Demba.
    Elle s’éveilla un matin et le garçon n’était plus là.
    Curieusement elle comprit ce qu’il s’était passé avant
même de constater l’absence de Lamine, elle le comprit
dès son réveil et bondit vers le ballot défait, ouvert sous la
chaise où elle l’avait laissé bien noué, elle en sortit le peu
qu’il contenait, deux tee-shirts, un pagne, une bouteille de
bière vide et propre, et, gémissant, dut constater ce qu’elle
avait compris avant de s’apercevoir de quoi que ce fût, que
tout son argent avait disparu.
    Ce n’est qu’à cet instant qu’elle réalisa qu’elle était
seule dans la pièce.
    Elle se mit à pousser de petits cris de détresse.
    La bouche grande ouverte, il lui semblait étouffer.
    Pour s’être éveillée dans la certitude qu’une mauvaise
actionavait été commise à son encontre, avait-elle, durant
la nuit, entendu quelque chose ou avait-elle fait de ces
rêves qui coïncident exactement avec une réalité à venir ?
    Elle sortit, traversa la cour en boitant si fort qu’elle manquait trébucher à chaque pas, se précipita dans la gargote
où la femme buvait son premier café du matin.
    — Il est parti, il m’a tout volé ! cria-t-elle.
    Elle s’affala sur une chaise.
    La femme la considérait
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