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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes
Autoren: Marie NDiaye
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inamical de la femme lui avait répondu.
    Elles’attacherait férocement à cette conviction, pendant
toute cette période, que la réalité de la seule douleur physique était à prendre en compte.
    Car son corps souffrait en permanence.
    La femme la faisait travailler dans une pièce minuscule
qui donnait sur une cour à l’arrière de la gargote.
    Sur le sol au dur carrelage, un matelas de mousse.
    Khady s’y trouvait allongée la plupart du temps, vêtue
d’une combinaison beige, quand la femme introduisait un
client, généralement un homme jeune à l’allure misérable,
lui aussi échoué dans cette ville où il survivait comme boy,
et qui jetait souvent en entrant dans la pièce torride, étouffante, des coups d’œil effarés autour de lui, comme pris
au piège de ce qui était à peine, songeait Khady, son propre désir mais les manœuvres de la tenancière qui tâchait
d’amener là chaque client de sa gargote.
    La femme s’en allait en fermant la porte à clé.
    L’homme alors baissait son pantalon dans une hâte presque inquiète, comme s’il s’agissait d’en finir au plus vite
avec quelque obligation pénible et vaguement menaçante,
il s’allongeait sur Khady qui écartait le plus possible sa
jambe malade, bandée de frais chaque jour par la femme,
afin d’éviter tout heurt, et alors qu’il la pénétrait en laissant échapper souvent une plainte étonnée, car la récente
démangeaison qui enflammait et desséchait le vagin de
Khady échauffait aussitôt le sexe du client, elle rassemblait
toutes ses forces mentales pour contrer les multiples attaques de la douleur qui assaillait son dos, son bas-ventre,
son mollet, pensant : Il y a un moment où ça s’arrête, et
sentant rouler sur son cou, sur sa poitrine à demi cachée
par la bordure en dentelle de la combinaison, la sueur
abondantede l’homme qui se mêlait à la sienne, pensant
encore : Il y a un moment où ça s’arrête, jusqu’à ce que
l’homme, laborieusement, eût terminé et, dans une exclamation de douleur et de déception, promptement se fût
retiré d’elle.
    Il cognait à la porte et ils entendaient tous deux les pas
lents et lourds de la femme qui venait ouvrir.
    Certains clients rouspétaient, protestant qu’ils avaient
mal, que la fille n’était pas saine.
    Et Khady songeait, surprise : La fille, c’est moi, presque
amusée qu’on pût la dénommer ainsi, elle qui était Khady
Demba dans toute sa singularité.
    Elle demeurait étendue un moment encore après le
départ des deux autres.
    Les yeux grands ouverts, le souffle lent, elle détaillait,
très calme, les fissures des murs rosâtres, le plafond de
tôle, la chaise de plastique blanc sous laquelle elle avait
rangé son ballot.
    Parfaitement immobile, elle entendait battre sourdement, calmement, son propre sang à ses oreilles et, si
elle remuait tant soit peu, le bruit de succion de son dos
mouillé sur le matelas tout imbibé de sueur et l’infime
clapotement dans sa vulve brûlante, et elle sentait refluer
doucement la douleur et la vaincre la puissance juvénile,
impétueuse de sa constitution solide et volontaire, et elle
pensait, calme, presque sereine : Il y a un moment où ça
s’arrête, si calme, si sereine que lorsque la femme revenait
non pas seule comme elle le faisait habituellement, pour
la laver, la soigner et lui donner à boire, mais en compagnie d’un autre client qu’elle faisait entrer avec une vague
mimique de regret ou d’excuse en direction de Khady, elle
n’enéprouvait qu’un brusque abattement, un instant de
désorientation et de faiblesse, avant de penser, calmement :
Il y a un moment où ça s’arrête.
    La femme, après qu’elle avait imposé à Khady de ces
rapports coup sur coup, s’occupait d’elle avec une sollicitude toute maternelle.
    Elle arrivait avec un seau rempli d’eau fraîche et une
serviette et baignait le bas-ventre de Khady avec douceur.
    Le soir, elles s’asseyaient toutes deux dans la cour et
Khady mangeait un bon repas de bouillie de maïs et de
viande de chèvre en sauce arrosé de coca-cola, et elle en
gardait une portion pour Lamine.
    La femme ôtait le bandage de Khady, enduisait de
graisse la blessure qui était gonflée et nauséabonde, la serrait de nouveau dans un tissu propre.
    Et comme elles étaient là, paisiblement assises dans la
tiédeur du soir, repues, et que, si Khady se tournait vers
la femme, elle ne distinguait
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