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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes
Autoren: Marie NDiaye
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I
    Etcelui qui l’accueillit ou qui parut comme fortuitement sur le seuil de sa grande maison de béton, dans une
intensité de lumière soudain si forte que son corps vêtu
de clair paraissait la produire et la répandre lui-même, cet
homme qui se tenait là, petit, alourdi, diffusant un éclat
blanc comme une ampoule au néon, cet homme surgi au
seuil de sa maison démesurée n’avait plus rien, se dit aussitôt Norah, de sa superbe, de sa stature, de sa jeunesse
auparavant si mystérieusement constante qu’elle semblait
impérissable.
    Il gardait les mains croisées sur son ventre et la tête
inclinée sur le côté, et cette tête était grise et ce ventre
saillant et mou sous la chemise blanche, au-dessus de la
ceinture du pantalon crème.
    Il était là, nimbé de brillance froide, tombé sans doute
sur le seuil de sa maison arrogante depuis la branche de
quelque flamboyant dont le jardin était planté car, se dit
Norah, elle s’était approchée de la maison en fixant du
regard la porte d’entrée à travers la grille et ne l’avait pas
vue s’ouvrir pour livrer passage à son père — et voilà
que, pourtant, il lui était apparu dans le jour finissant, cet
hommeirradiant et déchu dont un monstrueux coup de
masse sur le crâne semblait avoir ravalé les proportions
harmonieuses que Norah se rappelait à celles d’un gros
homme sans cou, aux jambes lourdes et brèves.
    Immobile il la regardait s’avancer et rien dans son regard
hésitant, un peu perdu, ne révélait qu’il attendait sa venue
ni qu’il lui avait demandé, l’avait instamment priée (pour
autant, songeait-elle, qu’un tel homme fût capable d’implorer un quelconque secours) de lui rendre visite.
    Il était simplement là, ayant quitté peut-être d’un coup
d’aile la grosse branche du flamboyant qui ombrageait de
jaune la maison, pour atterrir pesamment sur le seuil de
béton fissuré, et c’était comme si seul le hasard portait les
pas de Norah vers la grille à cet instant.
    Et cet homme qui pouvait transformer toute adjuration
de sa propre part en sollicitation à son égard la regarda
pousser la grille et pénétrer dans le jardin avec l’air d’un
hôte qui, légèrement importuné, s’efforce de le cacher, la
main en visière au-dessus de ses yeux bien que le soir eût
déjà noyé d’ombre le seuil qu’illuminait cependant son
étrange personne rayonnante, électrique.
    — Tiens, c’est toi, fit-il de sa voix sourde, faible, peu
assurée en français malgré sa maîtrise excellente de la langue mais comme si l’orgueilleuse appréhension qu’il avait
toujours eue de certaines fautes difficiles à éviter avait fini
par faire trembloter sa voix même.
    Norah ne répondit pas.
    Elle l’étreignit brièvement, sans le presser contre elle,
se rappelant qu’il détestait le contact physique à la façon
presque imperceptible dont la chair flasque des bras de son
père se rétractait sous ses doigts.
    Illui sembla percevoir un relent de moisi.
    Odeur provenant de la floraison abondante, épuisée du
gros flamboyant jaune qui poussait ses branches au-dessus
du toit plat de la maison et parmi les feuilles duquel nichait
peut-être cet homme secret et présomptueux, à l’affût, songeait Norah gênée, du moindre bruit de pas s’approchant
de la grille pour prendre son essor et gauchement se poser
sur le seuil de sa vaste demeure aux murs de béton brut, ou
provenant, cette odeur, du corps même ou des vêtements
de son père, de sa peau de vieux, plissée, couleur de cendre, elle ne le savait, elle n’aurait su le dire.
    Tout au plus pouvait-elle affirmer qu’il portait ce jour-là, qu’il portait sans doute toujours maintenant, songeait-elle, une chemise froissée et tachée d’auréoles de sueur
et que son pantalon était verdi et lustré aux genoux où il
pochait vilainement, soit que, trop pesant volatile, il tombât chaque fois qu’il prenait contact avec le sol, soit, songeait Norah avec une pitié un peu lasse, qu’il fût lui aussi,
après tout, devenu un vieil homme négligé, indifférent
ou aveugle à la malpropreté bien que gardant les habitudes d’une conventionnelle élégance, s’habillant comme il
l’avait toujours fait de blanc et de beurre frais et jamais
n’apparaissant fût-ce au seuil de sa maison inachevée sans
avoir remonté son nœud de cravate, de quelque salon poussiéreux qu’il pût être sorti, de quelque
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