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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes
Autoren: Marie NDiaye
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dans son impudence effrénée, sa
gaieté arrogante, sans humour, lancer quelque remarque
d’une inoubliable cruauté.
    D’un mouvement brusque, comme pour surprendre et
compromettre, il ouvrit la porte.
    Il s’effaça aussitôt, avec effroi et répugnance, pour laisser entrer Norah.
    La petite pièce était éclairée d’une lampe à abat-jour
rose posée sur une table de nuit entre deux lits dont l’un, le
plus étroit, était occupé par la jeune fille que Norah avait
vue dans la cuisine et qui lui avait dit s’appeler Khady
Demba et qui avait, observa Norah, le lobe de l’oreille
droite coupé en deux.
    Assise en tailleur sur le matelas, elle cousait une petite
     robe verte.
    Elle jeta un coup d’œil à Norah, lui sourit brièvement.
    Deux fillettes dormaient dans l’autre lit, tournées l’une
vers l’autre, sous un drap blanc.
    Avec un léger serrement de cœur, Norah songea que ces
deux visages d’enfant étaient les plus beaux qu’elle eût
jamais vus.
    Peut-êtreéveillées par la touffeur qui parvenait du couloir dans la chambre climatisée ou par une imperceptible
modification de la quiétude ambiante, les fillettes ouvrirent les yeux en même temps.
    Elles les posèrent sur leur père, graves, impitoyables, sans
chaleur aucune, sans plaisir de le voir, sans crainte non plus,
tandis qu’il paraissait, observa Norah stupéfaite, se liquéfier
sous ce regard, son crâne aux cheveux ras et sa figure et
son cou dans l’échancrure de la chemise dégouttant soudain
d’une sueur à l’odeur âcre et forte de fleurs piétinées.
    Et cet homme qui avait su répandre autour de lui une
atmosphère de peur sourde et que nul n’avait jamais intimidé semblait terrifié.
    Que redoutait-il de la part de toutes petites filles, se
demanda Norah, et si merveilleusement jolies, enfants
miraculeuses de son grand âge, qu’elles devaient pouvoir
faire oublier leur sexe mineur et le peu de beauté des deux
premières filles, Norah et sa sœur — comment des enfants
aussi enviables pouvaient-elles l’épouvanter ?
    Elle s’approcha du lit, s’agenouilla, souriante, à hauteur
des deux petites figures identiques, rondes, sombres, délicates comme des têtes de phoque posées sur le sable.
    À cet instant les premières mesures de Mrs Robinson retentirent dans la pièce.
    Tout le monde sursauta, même Norah qui avait pourtant
reconnu la sonnerie de son portable et plongeait la main
dans la poche de sa robe, prête à couper l’appareil puis,
s’apercevant que l’appel venait de chez elle, le portant à
son oreille avec gêne dans le silence de la chambre qui
semblait avoir changé de nature et, de calme, lourd, léthargique, était devenu attentif, vaguement inamical.
    Commedans l’attente de paroles définitives et claires
qui leur feraient choisir de me tenir à l’écart ou de m’accepter parmi eux.
    — Maman, c’est moi ! cria la voix de Lucie.
    — Bonjour, ma chérie. Tu peux parler moins fort, je
t’entends bien, dit-elle le front brûlant de confusion. Que
se passe-t-il ?
    — Rien ! Là, on fait des crêpes avec Grete. On va aller
au cinéma. On s’amuse bien.
    — Formidable, souffla-t-elle, je t’embrasse, je te rappellerai.
    Elle ferma l’appareil d’un coup sec, le fit glisser dans
sa poche.
    Les deux fillettes faisaient mine de dormir, paupières
frémissantes, lèvres scellées.
    Déçue, Norah leur caressa la joue, puis elle se releva,
salua Khady, sortit de la chambre avec son père qui referma
soigneusement la porte.
    Elle pensa avec mauvaise humeur qu’il semblait, une
fois de plus, avoir échoué à nouer avec ses enfants une
relation tendre et simple, elle pensa qu’un homme qui se
faisait accueillir par un regard aussi implacable ne méritait pas les belles petites filles de sa vieillesse, elle pensa
encore que rien ni personne ne pouvait réformer un tel
homme car il aurait fallu rien moins que lui arracher le
cœur.
    Mais cependant qu’elle le suivait en sens inverse
dans le couloir lugubre et qu’elle sentait, maintenant, le
poids léger de son portable qui battait sur sa cuisse, elle
s’avouait, maussade, contrariée, que cette irritation contre
son père s’amplifiait de ce qu’elle avait cru deviner d’excitationoutrancière dans la voix de Lucie et que les remarques acrimonieuses qu’elle ne pouvait ou n’osait adresser
à Jakob, l’homme avec lequel elle vivait depuis un an,
allaient se ficher droit
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