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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux
Autoren: Jean Rouaud
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celles-là, notre maman, peu
étonnant qu’on n’en trouve pas trace dans sa correspondance. Et peu probables
d’ailleurs : l’institution Françoise d’Amboise, 11 rue Mondésir, accueille
des jeunes filles de la haute société nantaise, et, autant que les bonnes
manières, on y apprend qu’il y a des choses pour une épouse digne de son rang à
ne pas savoir, de sorte que les notes s’établissent autour de six
critères : politesse, maintien, leçons, devoirs, application, observance
du règlement. Où l’on remarque que la sanction des résultats purement
scolaires – devoirs et leçons – ne compte que pour un
tiers. Le bulletin hebdomadaire précise : La note Très Bien à
l’application rachète des notes inférieures aux devoirs et aux leçons. De ce côté,
si les mathématiques la voient briller – elle aligne les places de
première ou de seconde, qui lui feront opter par la suite pour des études de
comptabilité dont elle séchera un cours le seize septembre mil neuf cent
quarante-trois afin d’assister clandestinement à la projection du « Comte
de Monte-Cristo », ce qui ne semble pas avoir nui à son sens des affaires
si l’on se rappelle avec quel brio elle géra, plus tard, son magasin, ce dont
portent témoignage ses livres de comptes impeccablement tenus – en revanche
le français (orthographe, langue et composition) semble lui avoir posé
davantage de problèmes, puisqu’elle n’est jamais loin d’occuper les profondeurs
du classement. De fait, à la lecture de la correspondance de ses années de
pension on constate qu’elle prend des libertés avec la norme communément admise
qui fait que, par exemple, on accorde les verbes avec le sujet et que
l’infinitif ne se confond pas avec le participe passé. Les exemples abondent,
comme dans cette lettre, prise au hasard dans la pile et datée du huit mars mil
neuf cent trente-six, ce qui fait que sa rédactrice avait malgré tout, à ce
moment-là : mil neuf cent trente-six moins mil neuf cent vingt-deux, égale
quatorze ans. Et à cet âge et à ce niveau, de telles fautes sont moyennement
excusables. Ce qui autorise aussi à s’interroger sur l’enseignement de cette
époque et l’excellence supposée, comparée à ceux d’aujourd’hui, de ses élèves.
Du moins découvre-t-on ainsi que notre maman dans sa jeunesse était, au fond,
très actuelle.
    La sécheresse de son style ne devait pas aider non plus a
améliorer ses notes en composition française. Une écriture, sans fioritures,
directe – moderne, si l’on veut –, mais peu en accord avec les
canons scolaires de son temps, beaucoup plus fleuris, où les oiseaux gazouillaient
dans les frondaisons tandis que du plus profond de l’azur le soleil dardait ses
rayons. Ainsi, extraite de la lettre du huit mars mil neuf cent trente-six,
l’évocation lapidaire, et d’une logique irréprochable, d’un menu incident du
collège : J’ai retrouvé mon béret qui était perdu jeudi, il était
simplement égaré. Maman, conviens que c’est une prose à haut risque. J’entends
d’ici la voix de tes maîtres à qui la subtilité de ce « simplement »
ne pouvait qu’échapper : Eclairez-moi, mademoiselle Brégeau, voulez-vous
dire par là que, quand il fait froid, il ne fait pas chaud ? Et savez-vous
que cinq minutes avant sa mort monsieur de La Palisse était encore en
vie ? Rassure-toi. A Saint-Louis, c’était la même chose. A moi aussi ils
m’ont fait le coup de la dialectique du sapeur Camembert. Comme on nous
reprochait dans nos rédactions d’abuser des verbes auxiliaires, être et avoir,
on en venait, terrorisé, à expérimenter des tournures hasardeuses. Cette fois,
il s’agissait de décrire sa chambre. Commentaire : Vous vivez
dangereusement, votre maison est bâtie sur une zone sismique – parce
que j’avais écrit qu’un crucifix se balançait au-dessus de mon lit. Mais
laissons-les dire, nous qui t’avons connue, nous savons bien de quoi il
retourne. Ce « simplement », c’est toi. Simplement égaré, traduisons,
et je ne pense pas me tromper de beaucoup en interprétant ta pensée : il
était inutile de chercher midi à quatorze heures, d’invoquer les puissances
maléfiques ou le mauvais sort, d’incriminer les camarades de classe et d’accuser
la terre entière. Simplement égaré, ce béret, comme plus tard, simplement mort
cet homme – autant dire gardez vos sornettes, ce glossaire
morphinique à
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