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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux
Autoren: Jean Rouaud
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l’usage des drogués de la vie : épiphanie, résurrection,
assomption, dormition, corps glorieux, et toutes ces breloques de l’espérance
que l’on agite devant l’évidence de la fin. Simplement égaré, simplement perdu,
simplement mon, comme cinq minutes après avoir passé monsieur de La Palisse
n’était plus en vie.
    Nous revient aussi son leitmotiv à notre endroit, alors que
sans doute elle estimait que nous n’étions pas dans le ton, que nous en
faisions trop ou que notre attitude ne sonnait pas juste. Apprenez donc à être
simples, nous assenait-elle régulièrement, comme un écho au « simplifiez,
simplifiez, simplifiez » de Henry David Thoreau dans son Walden, mais ce
qui se révélait cruel pour nous, nous ramenait brutalement sur terre, ruinait
nos espoirs de paraître un peu plus que ce qu’on était, nos prétentions à nous
faire une place, nous renvoyant une image de péronnelles, de dindons pérorants,
qui nous donnait envie de disparaître dans l’instant sous terre et de demander
grâce pour le restant de nos jours. D’autant que sa sentence s’accompagnait
d’une moue mi-désolée, mi-excédée, et d’un haussement d’épaules. Mais c’est
l’unique précepte de vie qu’elle nous ait jamais dispensé. D’où l’on comprenait
aussi que la simplicité est un but et que, quand elle n’est pas un don, elle
peut s’apprendre. Et c’est vrai que, peu à peu, en mangeant son chapeau,
avalant des couleuvres, buvant sa honte jusqu’à plus soif, on se surprend, au
prix de bien des renoncements, à hocher doucement la tête, un petit sourire un
rien désabusé au coin des lèvres, à mesure que le royaume des simples s’éloigne
dont on s’imaginait pourtant s’être approché. Un mirage de l’esprit que notre
mère, en dépit de ses objurgations, ne fréquentait que par intermittence. Ses
mimiques appuyées, sa gestuelle excessive, ne plaidaient pas pour l’exemple.
D’autant que cette exigence de simplicité était aussi pour elle une manière de
couper l’herbe sous le pied de tous ceux qui ne se contentaient pas de leur
condition et rêvaient à voix haute. Trouvait-elle une jeune fille très bien
(venue au magasin déposer sa liste de mariage, par exemple), qu’immanquablement
suivaient les adjectifs, gages de ce jugement flatteur : très effacée,
très discrète, très simple. Corollaire de cette apologie de la transparence, il
ne fallait pas avoir épais de rouge à lèvres, ni qu’il fût trop vif, pour faire
mauvais genre. A moins que celle-là, portant sa palette sur le visage, fût
enjouée. Du coup elle devenait nature, et trouvait grâce à ses yeux, l’artifice
n’étant plus dans ce cas considéré comme un moyen de se distinguer, mais comme
l’expression d’une vitalité généreuse.
    Etait-ce, cette défiance envers les autres femmes, une
conséquence de ses années de pension, dont sa sœur Claire, passée quelques
années avant elle et qui en avait souffert, dit pourtant qu’elle n’avait pas
souvenir que sa jeune sœur s’en fût jamais plainte, alors que ses congénères,
issues d’un autre milieu qu’elle, le lui faisaient peut-être sentir ? Car
notre maman était une anomalie dans cette institution, dont la principale
fonction était de servir d’antichambre aux jeunes filles de bonne famille en attente
d’un beau mariage. Ce que fit d’ailleurs sa meilleure amie qui épousa le député
du coin, et, ayant décidé toute jeune de s’appliquer à ne jamais sourire afin
de conserver un visage sans rides, fut victime d’une paralysie faciale. Mais
les règles du jeu social furent respectées, il n’y eut pas mésalliance :
la fille du tailleur épousa le fils du marchand de vaisselle.
    Françoise d’Amboise, 11 rue Mondésir, c’était une lubie
d’Alfred, à qui son élégance vestimentaire et la fréquentation par son métier
des classes supérieures avaient donné des idées de grandeur. D’où ce maintien
un peu raide, et cette antienne quand devant lui nous nous laissions
aller : Je ne t’emmènerai pas à l’Hôtel de la Boule d’or, hôtel dont nous
n’avons jamais su s’il existait vraiment ou s’il appartenait à cet univers
parallèle dans lequel on rencontre Pampelune derrière la lune, la corde à
tourner le vent et une flopée de lapins blancs, mais du coup, par cette menace
qui nous excluait à jamais d’une supposée grande vie, on s’appliquait à
déglutir en silence et à bien rouler notre
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