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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux
Autoren: Jean Rouaud
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malchance, historique
et géographique, atténuée cependant par le fait que la naissance avait eu lieu
au domicile d’Alfred - tailleur (ce qui semble restrictif si l’on se réfère à
l’entête de ses factures ainsi libellé : Draperie et Nouveautés pour
habillements de toutes sortes – Bonneterie, Blancs, Mercerie,
Toiles – Chapellerie – Atelier d’ouvriers tailleurs pour
les vêtements sur mesure – Confections, Pantalons, Vestons et
Gilets – Chemises blanches et Couleur gde Façon – Blouses
divers – Articles à lits – Toiles à Moulin et Sacs à
Blé – Confection de Bâches de toutes dimensions – Articles
d’ouvriers) et n’ayant pas réussi pour lui-même à trancher entre les deux vies
de Rancé puisqu’il fréquentait à la fois l’abbaye de la Meilleraye et l’île du
Levant – et de Claire – femme énergique et pas le genre à
perdre la tête (dont grand-père ne se fût sans doute pas encombré) –,
qu’elle quitta pour épouser, le quatre juillet mil neuf cent quarante-six,
Joseph Rouaud, dit le grand Joseph, notre père néguentropique et autres
qualificatifs.
    Lequel était né à Campbon, toujours Loire-Inférieure
(devenue Atlantique à la fin des années cinquante, mais par commodité nous
admettons que le changement de nom correspond à la mort dudit Joseph, laquelle,
bien que plus tardive, fonctionne ainsi comme une borne, un point zéro qui
détermine l’avant et l’après, de sorte que lorsqu’il est question de
Loire-Inférieure il faut comprendre que notre père est vivant), le vingt-deux
février mil neuf cent vingt-deux, ce qu’il résumait fièrement par 22-2-22,
formule assez peu magique si l’on se fie à sa brève destinée, mais qui lui
assure une curieuse survie puisque, plus de trente ans après sa mort, à
quarante et un ans, un lendemain de Noël mil neuf cent soixante-trois, on peut
l’admirer jeune homme, installé nonchalamment sur un canapé, les yeux rieurs
derrière ses lunettes cerclées, cravaté, en costume trois-pièces, une cigarette
à la main, le museau de son petit chien Rip, un ratier noir et blanc,
amoureusement posé sur sa cuisse gauche, et ceci sur la quatrième de couverture
d’un livre suédois intitulé « Stora Man ». Et si une diseuse de bonne
aventure, plongée dans sa paume ouverte comme dans un roman, lui avait annoncé
un étrange périple sur papier glacé dans le grand Nord, il eût sans doute
hasardé, goguenard : Et du côté de l’empereur de Chine, rien pour
moi ? S’attirant cette réplique de la voyante, refermant les doigts sur
les lignes de sa main : Souviens-toi de la prédiction faite à la petite
Joséphine dans son île : elle sera plus que reine.
    Joseph, le trop tôt disparu, fils de Pierre, grossiste en
vaisselle et articles de ménage, et d’Aline, commerçante, Joseph, qui, par le
jeu des dates consécutives des quatre et cinq juillet, fut le premier à lui
souhaiter, à Annick, notre mère qui ne lira pas ces lignes et que l’on croise
sous le prénom d’Anne, son vingt-quatrième anniversaire, et de quelle manière,
puisque au soir de leur mariage, passé minuit, ils étaient dans les bras l’un
de l’autre. Et bien sûr on peut se demander s’ils avaient déjà couché ensemble
avant cette nuit de noce, mais, si l’on en croit leur correspondance, du moins
celle de notre père, la seule qui nous soit parvenue – sur papier
bleu télégramme, et conservée dans une boîte laquée style nuit de Chine,
dissimulée dans un tiroir de la grande armoire frappée des initiales
entrelacées RC – pour Rouaud-Clergeau, nos grands-parents
paternels –, aucune allusion, sinon qu’il a hâte d’arriver au mariage,
qu’il compte les jours qui le séparent de sa future petite femme chérie, ce qui
pourrait vouloir dire qu’il n’en peut plus d’attendre, mais pour ce qui est de
déceler une pointe d’érotisme on reste sur notre faim, juste, au tout début de
leur rencontre, l’évocation du premier baiser dont il semble avoir encore la
saveur sur les lèvres au moment où il écrit, mais c’est maigre. D’autant
qu’ensuite les formules tendres se font plus mécaniques. Souffle même, le temps
de trois lettres, un petit vent de discorde alors qu’il est invité au bal de
mariage d’un ami et qu’elle semble le lui reprocher – possibilité
d’une rencontre ? –, au point qu’il capitule, entendu, comme elle
voudra, il n’ira pas, bien
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