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Nice

Nice

Titel: Nice
Autoren: Max Gallo
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Roland était petit, c’était
mon petit, un beau petit Roland.
    Elle fouillait dans les poches de son tablier, elle semblait
prendre quelque chose, ouvrait sa main vide.
    — Il était le plus beau Roland, sur la Promenade
j’avais toujours peur qu’on me le vole. Une fois, j’ai cru que je l’avais
perdu, je l’ai appelé. (Denise commençait à haleter.) Je l’ai appelé, personne
ne l’avait vu, alors j’ai couru (sa respiration devenait plus forte) j’ai
appelé, Roland, Roland, Roland.
    Elle lançait ce nom, ce cri, puis le son de sa voix semblait
l’effrayer. Elle baissait la tête comme si elle avait eu honte, reprenait son
foulard, ou le bord de sa jupe, et recommençait à les pétrir, à les rouler
entre le bout de ses doigts.
    Dante, à l’heure des repas, entrait dans la salle de bains.
Il évitait de la regarder.
    — Viens, viens, disait-il.
    Denise sursautait.
    — Qu’est-ce que vous voulez ? demandait-elle.
    Il la prenait avec douceur par le bras mais elle était
vigoureuse, pleine d’une santé qu’il n’avait plus depuis sa sortie de
l’hôpital. Elle se dégageait, tentait de parler, mais la langue paraissait
envahir sa bouche, couvrir ses lèvres. Elle marmonnait :
    — Je ne veux pas venir avec vous.
    Elle secouait la tête.
    — Je veux mon petit, mon Roland.
    Elle prenait tout à coup le visage des enfants boudeurs.
Dante lui caressait la joue.
    — Oui, oui, murmurait-il, il va venir, il faut manger d’abord.
    Il la conduisait à la cuisine, l’aidait à s’asseoir, tenait
sa main parce qu’elle tremblait depuis que, après l’accident, le médecin lui
avait ordonné ces fortes doses de tranquillisants.
    Elle voulait saisir la cuillère mais ses doigts ne
réussissaient pas à la toucher, se fermant sur rien. Il semblait alors qu’elle
prenait conscience. Elle pleurait calmement, exprimait un désespoir passif, répétait :
    — Mon petit, il a faim, il faut lui donner à manger, où
il est Roland ? Roland !
    Dante préférait encore qu’elle crie, qu’elle ne sache plus
qui elle était, où elle était, cela l’atteignait moins que cette douleur
profonde qui avait oublié sa cause et restait comme une tumeur rayonnante dans
une mémoire morte.
     
    Il avait su, dès les premiers instants, que Denise ne résisterait
pas.
    Quand Jeanne et Christiane étaient entrées, trois mois déjà,
et Jeanne hésitait, Denise s’approchait, disait d’une voix aiguë :
    — Tiens, vous êtes là vous, vous regrettez, hein ?
Mais Roland, il n’est pas ici Roland.
    Dante regardait les deux jeunes femmes. Elles se
ressemblaient. Si étonnant ce masque d’anxiété et de tristesse sur leurs
visages que Dante avait ressenti à nouveau à la hauteur de ses reins, le mal de
l’année précédente, quand il avait perdu connaissance au milieu de la nuit. Il portait
la main à sa cicatrice comme pour contenir la souffrance, il n’osait pas
questionner, mais il s’avançait vers Denise, parce qu’elle semblait si désarmée
avec son arrogance, si incapable de recevoir un choc, et que pouvaient-elles
annoncer, Christiane et Jeanne, toutes deux ainsi masquées ?
    Christiane regardait son père et sa mère.
    — Quel est le numéro de téléphone de votre médecin ?
demandait-elle.
    Denise secouait la tête.
    — Tu as de drôles de questions. On va bien, tu sais. Si
c’est pour ça que tu viens nous voir.
    — Papa, je veux ce numéro, répétait Christiane.
    Il prenait son carnet, le lui tendait.
    — Il habite dans le quartier ?
    — L’immeuble à côté, disait-il en s’asseyant.
    Cela faisait un an exactement, puisque le mal l’avait frappé
au milieu du mois de juin, un temps comme aujourd’hui, printemps limpide et
dans le parc toutes ces fleurs, le gazon encore vert avant l’ocre sécheresse
d’été. Dante regardait ce voile bleu, ciel ou mer, tendu au delà des palmiers
et des pins parasols du parc, dans la trouée d’une rue, entre les blocs d’immeubles.
Il respirait avec lenteur, il détendait ses muscles, il se souvenait du moment
où on l’avait introduit dans le bureau du commandant du camp, juste au début de
la guerre en 39. Il savait qu’on allait le frapper, coups de poing ou coups de
pied, les deux gardes mobiles le regardaient avancer. Il s’efforçait de devenir
mou comme un sac, pour se gonfler d’air, et pouvoir, quand ils se jetteraient
sur lui, absorber leur force, la laisser se perdre, s’enfoncer. Cela il ne
l’avait
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