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Nice

Nice

Titel: Nice
Autoren: Max Gallo
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aux
archives et parfois Gounichet, l’un de ses collègues, se penchait sur son
épaule :
    — Votre histoire du Moyen Âge, vous n’allez pas me dire
que ça vous empêche de vous baigner ? Ce qu’il vous faut, c’est une
méthode, un emploi du temps régulier, on peut concilier. Nous avons la chance,
dans cette région…
    Bernard Halphen refusait cette chance. À Nice il découvrait
combien il aimait la France grise, ses universitaires timides et scrupuleux, la
bourgeoisie discrète qui cachait ses biens, achetait des livres rares,
s’accordait le luxe de la culture et visitait les musées. Paris lui manqua
comme s’il avait changé de continent, atteint à Nice l’enclave différente, un
futur qui peu à peu allait gagner tout le pays, niveler ce qui restait
d’histoire pour laisser le passage aux autoroutes, et Nice commençait à être
percée de part en part.
    — Il faut bien, n’est-ce pas ? répétait Gounichet.
Toute époque a ses impératifs.
    Bernard Halphen, face à ce collègue qui bombait le torse
comme un forain, qui tentait vainement de devenir un personnage dans la cité,
revendiquait l’archaïque comme on signe. Il parcourait l’arrière-pays en quête
de villages désertés, de paysans immuables, il apprenait le patois, abandonnait
la Promenade des Anglais aux majorettes, la mer, la neige, le présent aux
Gounichet. « Il faut adapter l’Université, mon cher, le colloque de Caen,
de ce point de vue, est positif. »
    Bernard se détournait, recopiait ses chartes du XIII e siècle, suivait les drailles
pour rencontrer un berger, et là, assis sur les hauts plateaux secs, les
moutons regroupés autour de la mare, il oubliait la ville étouffée, et cet
avenir qui, préfiguré ici, était peut-être inéluctable.
     
    Il avait aperçu à plusieurs reprises Christiane Revelli au
ciné-club ou bien dans ce petit théâtre du vieux Nice où quelques acteurs
maladroits et exigeants brandissaient sur la scène Les fusils de la mère
Carrar. Il l’avait revue sur l’avenue, dans l’une de ces soirées humides de
l’hiver niçois, ville différente, étudiants assis au milieu de la chaussée,
C.R.S. barrant les rues : Paix au Viêt-Nam, paix au Viêt-Nam.
    Dans la course qui avait suivi, Bernard s’était retrouvé
proche du groupe de Christiane.
    — Vous êtes à la fac ? lui demandait-elle.
    Un remous, des bagarres sur les trottoirs.
    — Il y a Sonia, criait Christiane.
    Elle s’élançait, tentait de séparer les étudiants qui s’opposaient :
gauchistes, communistes, fascistes. Le Viêt-Nam était loin.
    Des semaines plus tard, dans un café, à la frontière de la
vieille ville, Bernard était encore assis près d’elle.
    — Je vous ai vue, disait-il, à la pièce de Brecht, Les
fusils de la mère Carrar.
    — Vous enseignez quoi ?
    Il souriait, s’excusait :
    — Ce n’est pas très actuel, le Moyen Âge.
    Elle présentait Gérard, Sonia, Sylvie. Quand il donnait
enfin son nom, elle répétait :
    — Halphen, Halphen, votre prénom ? Bernard ?
    Les souvenirs, cette cour de l ’Hôtel Impérial :
    — Tu ne m’as pas reconnue ?
    Ils riaient, laissaient entre eux le vide recouvert, Roland,
dont ils ne parlaient pas. Ils se retrouvaient bientôt dans les amphithéâtres,
elle au milieu des étudiants, se levant pour répondre à Gounichet, appelant à
voter la grève, lui adossé au mur, tout en haut, tant de phrases à dire qu’il
taisait, d’enthousiasmes et de craintes, cette foule, son flux et son reflux
sur l’esplanade devant la faculté, cette nuit passée dans l’appartement de
Jeanne, assis par terre avec les autres.
    — C’est maintenant, disait Sonia, si on ne s’organise
pas, Chariot va nous avoir encore.
    Les défilés sous les platanes, Dante Revelli qui rejoignait
leur groupe :
    — J’ai une fille professeur, disait-il, alors je reste
là, on a jamais vu ça, jamais, tenez en 36…
    La certitude chez Bernard que cela allait se dissoudre, qu’à
nouveau ils seraient répandus, tous, isolés, comme des grains. Il n’osait pas
leur dire, à Sonia qui, la hampe d’un drapeau rouge sur l’épaule, courait sur
les flancs du cortège : Chariot au musée. Une seule solution la révolution.
    Il s’approchait de Christiane.
    — Tu n’imagines pas, commençait-il.
    Elle refusait de répondre, sautait.
    — Regarde (elle se haussait sur la pointe des pieds,
s’appuyait des deux mains aux épaules de son père) tous ceux-là,
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