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Nice

Nice

Titel: Nice
Autoren: Max Gallo
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Première partie

La place Garibaldi
1
    Ils étaient trois frères et ils venaient de là-bas, le pays
de la montagne.
    L’aîné s’appelait Carlo. Il marchait au milieu de la route,
la veste rejetée sur l’épaule cachant la musette de toile, les manches de la
chemise blanche retroussées à mi-bras. Il regardait loin devant, au delà des
broussailles, des arbres secs, des pentes de galets soudés par la terre jaune,
suivant des yeux la crête vers laquelle montait le chemin et qui fermait
l’horizon comme un mur de clôture hérissé de tessons.
    Vincente marchait quelques pas en arrière, il ramassait l’un
de ces galets gros comme un poing et l’envoyait dans les fourrés, sans hargne,
peut-être pour laisser la trace de son passage. La musette sur l’épaule gauche,
le coude posé sur la poche de cuir, les doigts serrés sur la lanière courte, il
regardait le sol. Il était le second des frères Revelli. Huit ans de moins que
Carlo.
    « C’est trop, disait la mère – Elle s’essuyait la
bouche du revers de son tablier noir – C’est trop. On croyait, après
Carlo, qu’on n’en aurait plus. On était tranquille. Et puis il y a eu toi,
est-ce qu’on sait pourquoi ? Comme ça, après tant de temps, mais toi, ce
n’est rien, quand il a fallu que je dise qu’il y avait l’autre : ton père,
si tu l’avais vu… »
    L’autre était venu dix-huit ans après Carlo et maintenant il
marchait près de Vincente, traînant les chaussures à haute tige dans le sable et
souvent il s’accrochait à la manche de son frère, appuyant la tête sur le bras
de Vincente qui au bout d’un moment le repoussait : « Assez Luigi,
disait-il, assez. » Luigi se laissait alors distancer et tout à coup il
criait : « On s’arrête. » Carlo, sans se retourner, sans modifier
son pas régulier, jurait et le silence revenait sur la route. Ils étaient
partis depuis six jours.
    Vincente seul, juste avant le pont, avait regardé la ville
que, le fleuve franchi, ils ne reverraient plus. Mondovi-la-haute, austère avec
d’inattendus éclats de lumière quand les façades de briques roses – celles
de la maison des banquiers du XVI e siècle – brisent l’ordre
têtu des grands bâtiments publics, l’hôpital, la caserne, le séminaire.
Vincente seul s’était accoudé au parapet du pont. « Marchez, avait-il dit,
marchez, je vous rejoins. » Carlo avait haussé les épaules, Luigi courait
devant. La cloche sonnait six heures, là-haut au-dessus de la brume qui
couvrait la vallée où ils allaient se perdre. Et la sirène de la manufacture de
porcelaine répondait en trois ululements, un long, deux courts. Les deux
rythmes de la ville. L’église de Mondovi-la-haute, au fond de la place, presque
dissimulée, et chaque fois qu’avec sa mère Vincente se retrouvait sur le
parvis, peut-être la lumière après l’ombre, peut-être la beauté de la place
pareille avec ses façades en pans coupés au triptyque de bois doré au-dessus de
l’autel, Vincente voulait s’élancer et la mère le retenait, s’agrippant à son
épaule.
    Mais quand elle l’avait conduit le premier matin à la manufacture,
dans Mondovi-la-basse, que juste après le premier coup de sirène elle lui avait
dit : « va, va », il avait fallu qu’elle le pousse de la main
pour qu’il rejoigne un groupe noir – des femmes, foulards noués, fichus et
châles, tabliers – qui passait sous le porche.
    Elle était proche du pont, la manufacture, plongée dans la
brume et, en prêtant l’oreille, imagination ou souvenir, Vincente entendait le
halètement des soufflets près des fours ou le juron d’un contremaître. Il voulait
attendre que la brume se lève pour voir, silhouettes dessinées sur les
verrières, les ouvrières courbées et les gamins prenant contre eux les piles
d’assiettes. Sentir ce poids au bout des doigts et la peur et l’effort qui
paralysent.
    Mais une charrette était passée, vide. D’un signe Vincente
avait demandé au paysan s’il pouvait monter. Il avait sauté sur la ridelle,
traversé ainsi le pont, perdu Mondovi-la-haute et Mondovi-la-basse. Carlo et
Luigi avaient grimpé à leur tour.
    Ils avaient ainsi en silence quitté le pays.
    — Vous allez en France ? avait demandé le paysan
au moment où il les laissait pour s’enfoncer dans un chemin de terre, ligne
brune au milieu d’un champ de maïs.
    — On cherche le travail, avait dit Carlo.
    — La mère est morte, avait ajouté
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