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Nice

Nice

Titel: Nice
Autoren: Max Gallo
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Soixante-seize ans, c’est un
âge pour mourir.
    La vie de Dante qui passe ; ce qu’elle en sait
Christiane, la plage arrière d’un destroyer en rade de Sébastopol, en 1919 :
« Le commandant, tu comprends… », avait raconté Dante tant de fois.
    Il parlait à Roland, Christiane jouait dans un coin de la
pièce, petite fille qu’on laisse à ses poupées, mais elle écoutait. Elle partageait
l’espoir des années 20. Elle se souvenait – ou bien son père le lui
avait-il raconté aussi – les deux gendarmes qui traversaient la cour de l ’Hôtel
Impérial et Dante Revelli au milieu d’eux. Plus tard, alors que chaque nuit
« l’avion fantôme » – à quel parti appartenait ce pilote qui
rasait les toits, bombardait la ville, italien, allemand, résistant ? –
rôdait, elle avait dans un rêve appelé son père. Elle l’imaginait qui, d’un
seul coup de feu, interrompait le vol sinistre. La Libération venue, elle avait
vu Roland partir avec Dante quand on tirait encore dans les rues. Christiane
glissait sa main dans le brassard tricolore, petite fille qui ne sort pas mais
qui regarde, surprend, parce qu’on oublie qu’elle est là, que ça compte si peu
une fille. Jour après jour elle a ainsi collé côte à côte les récits.
    À Paris, quand elle lisait, une phrase parfois dans un roman
l’obligeait à s’interrompre, l’envie d’écrire à son père, de lui dire simplement :
« Je suis ta fille et je suis fière », toutes les images qui faisaient
la vie de Dante qu’elle revoyait alors.
    Depuis qu’elle était rentrée, elle aimait l’observer à la
dérobée : il allumait une cigarette, il commençait à lire, et elle
découvrait cette jubilation gourmande dans son regard, cette attention
juvénile.
    Dante Revelli avait l’enthousiasme d’un adolescent qui
s’empare des mots.
    Ce n’était pas un âge pour mourir alors que la jeunesse
était en lui, si vive, bleue au-dessus des braises. Tant de choses à partager
avec lui encore, que Christiane voulait apprendre de sa bouche.
     
    Elle marchait dans le couloir aux murs jaunes poussant ces
battants de caoutchouc lourds et souples, respirant l’odeur d’éther et de
sueur, et Yves répétait :
    — Pas de visite à cette heure-ci, nous viendrons
demain. Ils font une exception parce que je suis médecin.
    N’écouter personne, s’accrocher au lit, rester là jusqu’au
bout.
    Christiane a ouvert la porte.
    Un seul lit. La veilleuse qui rosit l’oreiller. Quelques
secondes pour découvrir un vieillard au visage livide, maigre, si maigre, cette
respiration bruyante, ces tubes qui semblent issus de lui comme déjà des
excroissances de matière qui le lient, le vident ou le remplissent, sac de peau
sans regard. La terreur qui emporte Christiane, la rejette, il faut qu’elle
s’agrippe, ne voie qu’Yves d’abord. Il touche le front de Dante, vérifie la
courbe de température en s’approchant de la veilleuse.
    — Il est sous antibiotique, murmure-t-il, je vais
demander à l’infirmière.
    Le désir de retenir Yves, mais il faut qu’elle reste seule,
là, près du lit, qu’elle s’avance, redresse l’oreiller, effleure le front, répète
à mi-voix :
    — Je suis là, je suis là.
    Il peut mourir, il peut vivre.
    Elle se penche pour mieux le voir, parce qu'elle doit
regarder en face ce qui peut survenir de pire, apprendre que la mort est dans
la vie.
    Christiane pleure, dents serrées, ongles plantés dans ses
paumes. Elle voudrait pouvoir s’enfoncer dans la bouche bruyante de son père,
s’envelopper de ce corps. Elle lui donnerait la vie ou bien étoufferait avec
lui. Elle n’a pas entendu Yves qui est rentré.
    — Rester ici, dit-il, ça ne sert à rien.
    — Je veux savoir.
    Yves écarte les mains.
    — Les reins, l’estomac, c’est imprécis encore,
diagnostic réservé. Voilà.
    Donner ses yeux, une part de soi, la plus vitale, pour qu’il
s’éveille, qu’il parle, qu’en une intonation toute sa vie – c’est long
soixante-seize ans et c’est un âge pour mourir – se dise encore.
    Hier il suffirait d’un mot, d’une attitude, d’un regard pour
que Christiane devine tout, l’enfance dans la cour de la maison Merani, la joie
quand les mains dans les poches, le soir, Dante faisait le tour de la pièce, le
visage levé sur les fils électriques qu’on devinait à peine, à la rencontre du
plafond et du mur : « Pas mal, murmurait-il, hein, pas mal. » Il
allumait une
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