Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Nice

Nice

Titel: Nice
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
cigarette avant d’appuyer sur l’interrupteur : « Vous
voyez, ça marche. » Il avait raconté si souvent cette scène, dit son
orgueil d’après le travail : « Des électriciens comme moi, tu sais, à
Nice, on était pas nombreux. » Et la brûlure de la colère si souvent : «  L’injustice, tu comprends, tous ces massacres, quand on est
revenus de l’autre guerre on pouvait plus accepter. On a cru qu’en six mois, on
allait réussir à tout changer, que là-bas, le pain serait gratuit. Plus de
police, rien. On était naïfs. »
    Naïveté sacrée des pauvres, levain sans lequel rien ne naît.
    Elle pleure, Christiane, et elle se recroqueville sur la
chaise. Elle n’était que par lui. Il l’avait portée, il lui avait donné cet
élan.
    — Toi, disait Sylvie à Christiane, tu es une force de
la nature, tu lis, tu lis, tu ne t’arrêtes pas.
    Elle vivait parce qu’il était là-bas, la regardant avancer.
Elle se retournait souvent comme lorsqu’elle était petite fille et qu’elle apprenait
à nager, qu’il restait au bord du rivage, qu’il l’encourageait : « Allez,
va, va. » Elle écartait les bras, gagnait sur la peur, l’eau salée mouillant
ses lèvres. Elle criait, effrayée de son audace : « Je n’ai plus pied ! »
« Va, va encore », disait-il. Il riait.
    Christiane craignait de ne plus savoir vivre, si cherchant
sur le rivage, seule au large, elle ne l’avait plus vu.
    Ça ne sert à rien de rester, chuchotait Yves.
    Elle lui tendait les clés et les papiers de la voiture,
l’obligeait à les prendre. Yves se penchait pour l’embrasser mais elle se
dérobait afin qu’il ne sente pas les larmes sur les joues, pudeur, comme s’il
avait pu ne pas l’entendre, ne pas deviner, malgré l’obscurité où elle se
tenait, qu’elle pleurait.
     
    Enfin Yves partit et Christiane put se blottir, la tête sur
les genoux, les mains bouchant les oreilles pour étouffer ce souffle de gorge,
mécanique, qui devait quelque part dans le corps lacérer, sectionner.
    Elle demeura ainsi jusqu’à ce qu’une infirmière, le matin,
la secoue.
    — Il faut que vous sortiez, je dois faire sa toilette.
    — Je suis sa fille, dit Christiane.
    Elle se leva, s’adossa au mur près de la fenêtre.
    Voir, savoir, partager.
    Elle eut mal à la saignée du bras quand l’infirmière retira
d’un coup sec le goutte-à-goutte, quand elle piqua une autre veine, elle eut
envie de vomir, ce gros tuyau de caoutchouc qu’on retirait. Elle vit ce corps
qu’on découvrait, elle s’obligea à tout regarder, pour mieux affronter.
    — Je vais vous aider, dit-elle en s’approchant de
l’infirmière.
    Et elle commença à laver le corps de son père, à sentir sous
ses doigts les os, si fragiles semblait-il, qu’elle effleurait à peine la peau
chaude.
    — Il va mieux aujourd’hui, dit l’infirmière.
    Dante geignait doucement, les yeux fermés, et Christiane
passait le coton sur son front, ses joues. Elle devenait la mère du vieillard-enfant
si humble, si frêle et elle trouvait, à toucher ce corps malade, un apaisement,
une assurance inattendus, comme si elle acceptait la vie dans toute sa courbe.
    Elle borda le lit.
    — Des filles comme vous, dit l’infirmière, on en voit
peu aujourd’hui. Les vieux, les gens les laissent maintenant.
    Christiane s’assit au bout du lit, pensant à Roland.
Viendrait-il ?
    Pour oser regarder les vieux mourir il fallait accepter sa
propre mort, connaître ce qu’on était.
    Dante se mit à tousser, les yeux toujours clos et pourtant,
quand Christiane l’embrassa, elle fut sûre qu’il la voyait.
    Elle lui humecta les lèvres parce qu’elle sentait qu’elle
devait le rassurer, le prévenir qu’elle creusait de l’autre côté des éboulis,
avançant à sa rencontre, entendant son appel, cette douleur qui le forçait à
geindre, à tousser. Il fallait qu’il sache qu’elle était là, comme il avait été
sur le rivage, rôles inversés du bout de la vie, et n’avait-elle pas déjà
commencé à la guider depuis qu’elle était revenue à Nice, qu’elle l’obligeait à
lire, qu’elle l’entraînait : « Viens au ciné-club, viens. » Lui,
il avait dit, quand elle hésitait à aller vers le large : « Va, va. »
    De l’un à l’autre, d’elle à lui.
    Christiane versait un peu d’eau dans la cuillère à café,
puis l’approchait de la commissure des lèvres, elle soulevait le menton de
Dante. «  Bois un peu,
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher