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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin
Autoren: Anne Wiazemsky
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les deux jours suivants de morgue en morgue. J’ai vu d’horribles blessures, une toute jeune fille morte que sa mère ne voulait pas laisser partir. Un jeune F.F.I. avec la bouche pleine de vers, etc., etc. J’ai été chercher dix cercueils pour dix morts.
    Et puis les F.F.I. sont arrivés. Pas très beaux, pas beaucoup d’enthousiasme. Pendant tout un jour, ils ont tiré des toits et des rues sur des miliciens plus ou moins imaginaires. Pendant ce temps, je transportais les blessés d’un petit bombardement aérien. Les avions passaient au-dessus de nous et mitraillaient partout. Je n’ai pas eu le temps de penser que je pouvais mourir.
    Hier, nous avons été appelés d’urgence pour aller chercher des blessés du maquis à Saint-Pons. J’étais d’autant plus contente que l’on disait que l’on s’y battait encore. On arriva dans un pays tout à fait calme après plusieurs jours de guerre. Les Allemands avaient complètement pillé la ville et allaient tout brûler, quand ils s’aperçurent qu’ils avaient une trentaine de blessés chez eux. Nous avons commencé à leur administrer les premiers soins, ils virent qu’ils allaient être bien soignés et ils nous dirent : “Nous ferons notre devoir comme vous faites le vôtre.” Et ils partirent. Les blessés du maquis avaient déjà été évacués et ce furent ces grands blessés allemands que nous ramenâmes à Béziers. Je suis restée une heure avec eux à l’hôpital. Ils souffraient tellement que j’en avais mal au cœur. J’aurais voulu avoir de la haine, je n’avais qu’une immense pitié et j’aurais voulu pouvoir les soulager. L’un d’eux, un pauvre gosse de dix-huit ans, avait une péritonite. Il était perdu et le médecin n’a pas voulu l’opérer. Sa main brûlante s’agrippait à la mienne et il me regardait avec des yeux tellement suppliants que je me suis mise à pleurer. Je pensais à tous ces hommes qui comme lui mouraient loin de leur famille. Je ne suis pas faite pour être infirmière, je serais trop malheureuse.
    17 heures. Là, je viens d’aller chercher un homme qui est mort devant moi suite au mitraillage de dimanche. Je n’aime pas les morts mais j’aime encore moins voir sangloter les familles.
    Il fait lourd, la ville est pleine de F.F.I., d’étoiles et de drapeaux. On espère voir arriver très bientôt les Américains au port de Sète. Figurez-vous que c’est à Sète, Agde, etc., qu’ils devaient débarquer. Ils n’ont demandé les plans de la Côte d’Azur que dix jours seulement avant le débarquement. »
     
    Claire referme le cahier afin de méditer sur ce qu’elle vient de lire et qui l’aide à mettre de l’ordre dans ses idées. Elle se reconnaît volontiers un certain courage dans l’action et, plus que ça, du goût. « Une bonne dose d’inconscience, oui ! » la sermonnerait sa chef de section. Claire, dans la quiétude de sa chambre, lui répondrait avec naturel : « J’aime le danger. »
    Elle éteint sa cigarette, se lève, va s’accouder à la fenêtre. Le soleil décline, l’ombre gagne les toits. Dans le ciel, des hirondelles tracent des cercles de plus en plus étroits et crient comme pour saluer la fin du jour, l’arrivée de la nuit. En bas, dans la cour de l’immeuble, deux de ses camarades sortent dîner en ville. Comme Claire, elles terminent leur journée de congé et ont troqué leur uniforme bleu « Royal Air Force » pour des vêtements qui les font ressembler à toutes les autres femmes. Claire hésite à les rejoindre. Mais elle n’en a pas vraiment envie, pas encore tout du moins. Il sera temps, un peu plus tard, de faire le tour des deux ou trois cafés où elles ont leurs habitudes. Elle trouve à la fois délicieux et étrange cette journée sans la moindre alerte ; le silence de la ville. Pour peu, sa chère ambulance lui manquerait. Elle ignore son emploi du temps pour la semaine à venir. Cela la ramène au choix qu’elle doit faire dans quelques jours.
    La venue de la nuit apporte une fraîcheur nouvelle qui la fait frissonner. Elle enfile un tricot sur son chemisier, allume les lampes et contemple avec satisfaction son reflet dans le grand miroir au-dessus de la cheminée. Son visage bronzé est reposé, ses traits détendus. Elle n’a plus cette expression sombre qui est la sienne souvent et qui déconcerte ses proches. Elle fait bouffer ses épais cheveux bruns lavés le matin même, remarque à quel point ses mains sont
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