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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin
Autoren: Anne Wiazemsky
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d’écrire la met mal à l’aise. Pourquoi se laisse-t-elle aller à parler de cet homme alors qu’elle s’était jurée de taire son existence ? Lors de leur rencontre, elle lui avait avoué qu’elle était fiancée, qu’elle s’apprêtait à quitter Béziers. Elle a aussi appliqué ce que la guerre lui a enseigné : vivre le moment présent. Elle n’imaginait pas que cette rencontre lui apporterait autre chose qu’un bien-être passager. Elle se croyait forte, armée contre le chagrin, contre ce qu’elle appelle avec mépris « les tracas du cœur ».
    Pour se distraire, Claire regarde des photos de sa famille. Sur l’une d’entre elles, Luce, sa sœur, très enceinte, joue par terre avec sa petite fille âgée de deux ans. Leurs deux frères, Claude, l’aîné, et Jean, le cadet, l’entourent et sourient à l’objectif. Ils fument chacun une cigarette avec des airs faussement virils. La scène se passe dans le salon de leurs parents, avenue Théophile-Gautier. Claire suppose qu’ils viennent de déjeuner, qu’ils en sont au café, enfin à un ersatz de café. Ont-ils eu suffisamment à manger ? Elle, à Béziers, ne mange pas à sa faim, c’est certains jours une obsession, manger. Comme tant de Français, elle a cru naïvement que la victoire diminuerait les problèmes de ravitaillement. Durant la guerre, la vie quotidienne était si dure, si dangereuse, qu’elle n’avait pas le temps de trop y songer. Elle reprend son cahier.
     
    « Maman m’écrit qu’ils sont tous désespérés de mon départ aux armées. Je ne sais pas si mon devoir n’est pas de rester auprès d’eux. Pourtant, je sais que je partirai. Ils vont être malheureux et je vais en souffrir. Est-ce que l’on peut être complètement heureux ? Il faut toujours que quelqu’un souffre.
    Claude est allé en avion en Normandie chercher des affaires de De Gaulle. Papa redevient mon papa d’avant-guerre. Pourquoi est-ce que j’aime autant ma famille ? J’en suis fière. Parfois j’ai peur que le destin se venge de tout ce bonheur qu’ils m’apportent, de cette vie facile et heureuse que j’ai eue jusqu’à maintenant. Je pense aussi aux hommes qui sont morts, à ceux qui vont être fusillés, aux prisonniers.
    Je ne parle pas de Patrice, je ne peux pas y penser. Lui aussi souffre. Je n’ai même pas fait ce que j’aurais pu faire pour lui. Comme il y a deux ans, son retour me fait peur. Je ne veux pas y penser, il y a tant de choses qui nous séparent. Pauvre Patrice ! Mais aussi, pourquoi n’est-il pas revenu ? C’est de sa faute.
    Je suis fatiguée, je suis gelée. Que la vie est triste et étrange ! »
     
    « Mardi 10 octobre, minuit
    Cela y est, je ne le verrai plus. Pour la première fois de ma vie, un homme a pleuré devant moi tant sa peine était grande. C’est bouleversant un homme qui pleure. Je n’aurais jamais cru que cela puisse être si beau. Cet après-midi nous avons été ensemble à la plage. La mer était belle et nous étions tristes.
    Demain, départ à 6 heures ! Adieu Béziers. »
     
    Claire referme son cahier, le dépose dans sa valise qui contient déjà l’ensemble de ses vêtements et des livres qu’elle n’a jamais eu le temps de lire. Demain, elle voyagera en uniforme avec sa petite croix de Lorraine en or épinglée au revers de sa veste. Une croix de Lorraine que le général de Gaulle a offert aux quatre enfants de François Mauriac et dont elle est très fière. Claire souhaite que l’on reconnaisse en elle une ambulancière de la Croix-Rouge, une combattante. Elle laisse sur les murs les cartes de France, d’Italie et de Russie qu’elle avait punaisées lors de son arrivée afin de mieux suivre la progression des armées alliées. La T.S.F. diffuse Le concerto pour mandoline de Vivaldi. Claire sent que son chagrin s’atténue. Ce qu’elle vient d’écrire est la vérité. Ce sont ses larmes à lui qui l’impressionnent. Sans cela, il lui semble qu’elle serait plus indifférente. Elle ramasse les photos, les range dans son sac à main. Celle de Patrice la met de mauvaise humeur. Que ferait-il si elle le quittait ? Serait-il capable de pleurer, de s’abandonner devant elle à son chagrin, de montrer sa vulnérabilité ? Elle pense qu’il serait comme il l’est en toute circonstance, courageux et digne. Pour peu elle lui en voudrait d’avoir devancé l’appel sous les drapeaux, d’avoir passé toute la guerre prisonnier en Allemagne. Elle se
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