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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin
Autoren: Anne Wiazemsky
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négligées : des mains de travailleuse. Où trouver du vernis à ongles, un matériel de manucure ? À Paris, elle n’aurait que l’embarras du choix. Elle aurait encore le confort douillet de l’appartement de ses parents, de quoi manger à sa faim, du feu pour se chauffer à l’approche de l’hiver. Comme tous les Français, elle a terriblement souffert du froid au cours de ces années de guerre. Si elle s’est tant plu à Béziers, c’est à cause de son climat, des journées ensoleillées, du ciel presque toujours bleu. Tout à coup son reflet dans la glace a perdu de son charme, elle y lit l’effroi, quelque chose de désespéré qu’elle sait avoir en elle et qu’elle avait presque oublié. Elle se détourne du miroir et allume la T.S.F. : c’est le début du Concerto pour clarinette de Mozart, l’allégro. Elle se rappelle comment, durant les heures sombres de l’Occupation, son père reprenait des forces en écoutant Mozart. Parfois, il lui arrivait de s’enfermer seul au salon pour être au cœur de la musique. Elle se souvient qu’il disait trouver dans l’andante « je ne sais quel reproche à Dieu, une plainte d’enfant déçu ». Déjà, elle respire mieux. Elle sent qu’elle doit reprendre sa lecture et s’installe confortablement sur son lit, le cahier dans une main, une nouvelle cigarette dans l’autre. C’est la suite de la lettre recopiée adressée à ses parents où elle raconte pour la première fois la part jusqu’alors tenue secrète de sa vie à Béziers.
     
    « 28 août 1944
    Hier, grande manifestation politique. Je pensais à Paris et je trouvais tout bien moche et bien petit. Il y eut pourtant une belle cérémonie au mur des fusillés où j’avais été chercher huit corps. La vie ici est d’un calme à pleurer. J’ai bien l’intention de ne pas y moisir. Il me tarde d’avoir de vos nouvelles, il me tarde que l’on parle de papa. Peut-être aurais-je bientôt la joie d’entendre sa voix à la T.S.F.
    Je me souviens de vous avoir écrit des lettres bien tristes qui étaient presque des adieux tant j’avais peur de mourir. Cette peur ne venait pas uniquement des morts que je voyais, des bombardements, mais surtout de la vie que nous avons menée jusqu’à maintenant. Songez que la section a été de janvier jusqu’à ces jours-ci le lieu de rencontre de tous les chefs de la Résistance de la région. Jusqu’au débarquement, ils étaient deux ou trois chaque jour à déjeuner et souvent à coucher à la section. Notre chef était agent de liaison ; nous avions des armes plein la maison et mon ambulance a fait je ne sais combien de transports d’armes, d’explosifs, de chefs de maquis, etc. Nous avons été chercher des maquisards blessés, prévenir le maquis de descentes d’Allemands. J’avoue que ce n’était pas de tout repos et il m’est arrivé d’avoir peur surtout lorsque, par exemple, nous attendions Renée qui ne revenait que plusieurs heures après le moment prévu. Nous avons passé des nuits à l’attendre ! Il est arrivé qu’un chef de la Résistance nous dise : “Si à minuit elle n’est pas là, je file car la Gestapo ne tardera sûrement pas à venir.” Et il partait, et l’attente continuait. Une nuit, je suis montée avec l’un d’entre eux sur un toit pour cacher tous nos revolvers sous les tuiles. Je me souviens qu’il y avait un beau clair de lune et je pensais à de drôles de choses.
    Le jour où je suis allée chercher les corps des fusillés, je n’osais pas y aller tant j’avais peur d’en connaître un. Et lorsque j’ai vu le pauvre corps d’une femme qui n’avait rien fait, j’ai eu un haut-le-cœur terrible en pensant à moi. Ce n’était pas très chic de ma part mais il n’y avait rien à faire, je me voyais dans mon sang comme si c’était fait.
    J’aurais bien aimé écrire mon journal mais il n’en était pas question, c’était trop dangereux. La Gestapo recherchait bien une femme du nom de Renée, mais ils n’arrivèrent jamais jusqu’à nous. Nous étions toujours sur le qui-vive et j’avais un passeport pour l’Espagne. Il m’est arrivé de partir en mission avec mon revolver et je vous assure que j’aurais su m’en servir. Nous étions heureusement très bien avec la Kommandantur qui nous donnait les permis que nous demandions parce que nous avions bien travaillé pendant les bombardements. Ils avaient en plus une grande confiance en la Croix-Rouge française. Pour moi
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