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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne
Autoren: Robert Escarpit
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bien, sauf, bien entendu, des vieilles comme tante Laure. Jantet et Bernard comprenaient et même parlaient le français, l’un parce qu’il prenait des leçons d’écriture et de calcul avec l’abbé Lafargue, l’autre parce qu’il avait une oreille particulièrement douée pour attraper les accents et les manières de s’exprimer.  
    Sur les couraus, on parlait plus français que gascon, car les équipages étaient de toutes origines. Il y avait même des Basques au charabia incompréhensible qui se débrouillaient avec l’espagnol. De plus, beaucoup de ces hommes avaient, à un moment ou un autre, servi sur les bâtiments de la marine royale et ils étaient habitués à donner ou à recevoir des ordres en français.  
    — Qu’est-ce qu’il y peut, Hardit ? demanda Hazembat.  
    — C’est ce que je voudrais savoir, répondit Perrot en allumant sa pipe avec un tison. C’était le seul vrai maître de bateau parmi les électeurs de Langon aux Etats Généraux.  
    — Erreur, camarade Rapin ! dit une voix venant de la porte. Pas aux Etats Généraux, mais à l’Assemblée nationale constituante ! La chose est décidée depuis le 9 juillet et je viens d’en recevoir la nouvelle. Com vatz, monde ?  
    Dans le brouhaha fait par les enfants, on n’avait pas entendu François Labat entrer. C’était un homme vigoureux, d’une cinquantaine d’années, dont l’allure fière et le regard droit justifiaient le surnom de Hardit. Il portait un foulard noué derrière la tête, à la manière des marins de la marchande. Tante Laure et Hazembate lui firent un signe amical, tandis que Rapinette lui tournait délibérément le dos sous prétexte de laver les écuelles.  
    — Assieds-toi, Hardit, dit Perrot en débouchant la bouteille que Rapinette avait apportée en rechignant. Nous allons trinquer.  
    — D’accord, Perrot, nous allons trinquer à la Constitution !  
    — Qu’est-ce qu’elle changera, ta Constitution ?  
    — Tout, Perrot, tout !  
    — Pour tout le monde ? demanda Hazembat.  
    — Pour tout le monde !  
    — Ecoute, Hardit, coupa Perrot, dans tes électeurs et tes députés, je ne vois guère que des avocats, des négociants et quelques gros artisans. Il y a toi qui es maître de bateau, c’est vrai, mais tu es le seul, et quand on a rédigé les cahiers de doléances, la plupart étaient déjà prêts et ils étaient pleins de beaux principes, mais il n’y a été question ni des grands propriétaires qui lancent des jettins de fascines dans le lit de la Garonne pour récupérer des terres à cultiver, ce qui oblige les hommes de tire à se mettre à l’eau, au risque de se noyer, ni des ribierencs nobles qui, sous prétexte de droits féodaux, installent pour leur commodité des peyrats de grosse roche sur lesquels nos couraus viennent se fracasser, ni des gros meuniers qui amarrent des moulins à nef en plein milieu du courant et nous démâtent ou nous font chavirer avec leurs finelles. C’est comme ça qu’il est mort, le père d’Hazembat, tu le sais !  
    — Je le sais, mais désormais la loi…  
    — Ne me parle pas de la loi ! Colbert, Turgot en avaient fait des lois sur la navigation fluviale, et tu sais comment elles ont été appliquées ! Combien de plaintes ont-ils reçues, les beaux messieurs du Parlement de Bordeaux, et combien en ont-ils écouté, depuis le temps ? Ils sont forts pour défier le Roi, mais ils n’osent pas défier ceux qui ont de l’argent ou des privilèges !  
    — De l’argent, tu en as, Perrot.  
    — Un peu, oui, mais pas de privilèges, et je ne parle pas seulement de ceux de la noblesse et du clergé !  
    — Justement, Perrot, il n’y aura plus de privilèges du tout, car la loi de la Constitution sera la même pour tous : ce sera la loi de la Nation !  
    Il leva son verre.  
    — A la Constitution ! A la Nation !  
    La première gorgée fut bue en silence par les trois hommes. Labat examina par transparence la liqueur dorée.  
    — Tu me gâtes, Perrot. Si je ne me trompe, ce vin vient de chez le vieil Iquem.  
    — D’une de ses propriétés. C’est du 72. Mon père en avait acheté une barrique l’année de sa mort.  
    — Avant que siècle finisse, elle vaudra mille livres !  
    — S’il en reste !  
    — Gardes-en suffisamment pour les vingt ans de ces enfants ! Venez, petiots, venez trinquer avec moi à la liberté qui sera le premier de tous vos biens !
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