Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne
Autoren: Robert Escarpit
Vom Netzwerk:
emportées toutes trois par la même épidémie. Le deuil rapprocha encore les deux camarades et Perrot offrit à Hazembat de commander l’Aurore, une des gabares qu’il avait héritées de son père. Dubernet, de son côté, ayant pris goût à la marine, acheta deux bateaux non pour y naviguer lui-même, mais pour arrondir son revenu de marchand. Afin de cacher sa cicatrice, il prit l’habitude de porter un bonnet rouge, ce qui lui valut le surnom de Capulet.  
    Ainsi, à la fin de 1783, commencèrent-ils, entourés de leur marmaille, une vie de travail dont rien que la mort, elle-même quotidienne, ne semblait, pour de longues années, devoir rompre le fil monotone.  

CHAPITRE I : LE BONNET ROUGE
    Le barbeau somnolait presque à fleur d’eau, incroya blement proche. Il était énorme : deux pieds de long au moins. Ses barbes paresseuses semblaient explorer le fond de vase, juste à la limite du gravier. On aurait dit qu’il suffisait de tendre la main pour toucher son dos d’argent vert. Mais Bernard savait bien que c’était une illusion. Depuis qu’il était en âge de se promener sur les bancs de grave aux basses eaux, il avait toujours été fasciné par ces gros poissons indolents qui pouvaient se transformer d’un instant à l’autre en un éclair métalli que, évanoui à peine entrevu. Même l’épervier manié d’une main experte était moins rapide qu’eux.  
    Jantet et lui avaient tout essayé, depuis la nasse de vime jusqu’à la ligne amorcée d’un bousic rose et dodu. Le barbeau repoussait le ver d’un mouvement imper ceptible de son nez camus, comme s’il eût deviné le piège et s’en amusât. Aujourd’hui, ils essaieraient la foëne.  
    Bernard se retourna pour regarder Jantet qui ache vait de lier à une longue branche de saule bien droite la vieille dent de fourche qu’ils avaient dérobée chez le forgeron, redressée, puis longuement aiguisée sur une pierre.  
    — Tu as fini ?  
    — J’arrive.  
    En quelques enjambées prudentes, Jantet le rejoignit. Ils avaient tous deux onze ans, mais Bernar d Hazembat dépassait Jean Rapin d’une demi-tête. Pour tant, il paraissait plus râblé. Comme taillé à l’hermi nette, il faisait craquer les coutures de sa chemise rapiécée et son pantalon effiloché lui arrivait à peine aux genoux. Son visage, encadré de cheveux noirs en broussaille, avait la plénitude rude des têtes de pierre qu’on voyait aux chapiteaux de l’église Notre-Dame-du-Bourg. Quand on le lui disait, il ne se fâchait pas et répondait qu’il avait été baptisé à l’église Saint-Gervais qui est bâtie sur du roc.  
    Jantet portait la même chemise de toile à voile et le même pantalon de basin noir, mais ses vêtements étaient plus neufs, moins rapetassés. La minceur de ses joues le faisait paraître plus jeune que son camarade, mais il avait le menton volontaire des Rapin. Ses cheveux bruns tombaient en boucles sur ses épaules.  
    Bernard saisit la perche et la pointa, clignant des yeux pour se protéger des reflets de l’eau. Deux fois, il ajusta sa direction, allant presque toucher la surface sous laquelle, à moins de deux pouces, semblait-il, le bar beau restait immobile, puis il retira le bras jusqu’en arrière de son épaule et planta la foëne. Un petit nuage de vase s’éleva à l’endroit où la pointe s’était fichée. Avant même que les rides de l’eau ne se calment, Bernard sut que le barbeau n’était plus là.  
    — Il y avait au moins un pied de fond, dit-il en considérant la perche cassée par la réfraction. Avec l’eau, on ne peut jamais savoir. Je l’ai encore manqué, hilhdeputa !  
    —  Il reviendra.  
    — Pas tout de suite.  
    Arrachant la foëne improvisée, Hazembat examina la pointe.  
    —  Pot anar, grommela-t-il, elle est encore bonne. Ils se dirigèrent vers la rive herbeuse, pataugeant, pieds nus, dans les flaques qu’avaient laissées les eaux de la Garonne sur le banc de gravier. Ils s’assirent à l’ombre d’un bouquet d’aubiers. Le soleil de juillet nappait d’or pâle les graviers nus devant le port de Langon, de l’autre côté de la rivière. Tout au long des quais en pente, les couraus, grandes gabares de trente à quarante tonneaux, étaient couchés sur le flanc.  
    — Les couraus de Dubernet n’en ont pas encore fini de radouber, dit Jantet. Depuis que la débâcle de janvier a crevé les coques, il ne s’en sort pas.  
    — De toute façon,
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher