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L'immature

L'immature

Titel: L'immature
Autoren: Alain Garot
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foutre le camp n’importe où. La plupart de mes copains, eux, meublent leurs silences, tous les silences; et c’est ce que je n’ai jamais pu comprendre : moi, je ne trouve rien à dire, pas même une banalité.
Mais ce silence-là, alors, je le savourais. Parce qu’il était à moi. Et je l’ai fait durer aussi longtemps que j’ai pu. J’ai vu Solange gratter le sol du bout des pieds, et se troubler un peu. Elle avait des chaussures à talons hauts, des bas de soie noire. De belles jambes aussi ; en temps ordinaire, trop belles pour moi... Pensez donc, un Dindin peut-il faire un bon amoureux ? Certes, je sais quand même embrasser les filles sur la bouche. Je l’ai déjà pratiqué avec la voisine, un peu plus jeune que moi, derrière l’église ; sans passion il est vrai, car durant cet exercice je ne me sentais nullement à l’aise. Avec Solange j’essaierai de tenir le coup. Comme, en plus, je l’aime, cela devrait beaucoup mieux se passer. Oui, elle est vraiment chouette, ma Solange : teint mat, cheveux tirés en arrière.
— Solange !
J’ai crié son nom malgré moi. Elle m’a alors regardé avec ses beaux yeux verts.
— Boris !
Mon cœur battait violemment.
Elle a rallumé son poste de radio et tout s’est mis à chanter dehors. J’ai osé lui dire : « tu viens ? » Mais elle m’a dit qu’elle n’était autorisée à s’éloigner qu’avec sa copine. Alors j’ai réfléchi : la copine avec le grand Robert et elle avec moi. Ensuite, il m’a fallu la convaincre et cela a pris pas mal de temps. Peu importe ! Tous quatre sommes partis à travers champs.
    Quand je me suis couché, ce soir-là, j’étais tout bizarre, comme si je venais de prendre un bain glacé. Il ne fait certes pas chaud dans ma chambre, mais j’y suis habitué. Je remonte le drap jusqu’au cou, je me mets en boule comme un fœtus. L’hiver, s’il gèle, ma mère m’apporte une bouillotte ou une brique chaude. J’y colle mes pieds et je suis aux anges. Enfin, pas tout à fait quand même, puisque Freddy n’est plus là, qu’il fait la guerre. On ne peut pas être heureux sans son frère.
Il fait la guerre. Au début c’était pour rire, maintenant c’est pour tuer. Je sais ce que cela veut dire : « tuer » On arrive sur un terrain plein d’embûches, avec des palmiers, du soleil, et la mer qu’on voit au loin. Puis, tout à coup, une rafale. Qui tue. Pour toujours. Et je hurle comme cela, la nuit:
— Freddy !
Je n’aime pas les fusils. Plusieurs copains ont des carabines et tuent les moineaux. À cause de ces massacres, je me battrais avec eux. Ils me disent souvent que je suis anormal. Défendre les moineaux, voyons ! Et la virilité... Nos ancêtres n’en faisaient-ils pas autant ? Du reste, «  la femme aime le guerrier » dit mon professeur de philosophie ; c'est-à-dire celui qui est capable de toutes les ignominies.
Je ne parviens pas à dormir. Je repense à Solange. Je sens encore son parfum. J’entends sa respiration saccadée quand elle m’a embrassé. Et je songe à autre chose encore… Que voulez-vous, je suis comme ça, il faut toujours que je pense. Une obsession ! Je me vois déjà la retrouver samedi soir. Comme toutes les fois que j’ai un amour, je me dis que c’est le bon, qu'il finira par un mariage. Alors une pensée vient me torturer : vais-je oser présenter Solange à ma mère ? Ma pauvre mère avec sa figure de travers. Si Solange, après, ne m’aimait plus ! On ne sait jamais avec les filles.
Je me revois, allongé sur le sol, et Solange qui me regarde. Un sentiment d’inquiétude m’envahit soudain. Mon front... mon front trop grand, l’a-t-elle remarqué ? J’essaie d’imaginer... Lorsqu’on s’est embrassé sur la bouche, s’est-elle rendu compte que j’avais la tête pointue ?
Et mon nez ? Ah ! Il y a encore ce nez...
Et je pleure sur mon lit car j’ai peur de la perdre. Entre deux sanglots je soupire :
— Solange, aies pitié de moi !
Solange. Mon petit amour d'immature.

LE BAL
    Le samedi, comme grand-mère Vanot a bien voulu laisser sortir sa petite fille, j’ai revu Solange pour le bal des parents d’élèves du lycée.
Elle est montée près de moi, sur le cadre du « clou Vautrin ». Mais comme je peinais lamentablement, c’est Robert qui l’a prise à son tour. J’étais un peu jaloux, j’avais peur qu’il me la « chauffe ». En principe, il a d’autres chats à fouetter, mais sait-on jamais avec lui.
Les
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