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L'immature

L'immature

Titel: L'immature
Autoren: Alain Garot
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prospection.
— Vous dansez ?
— Non merci.
Et je m’en allais répétant, avec une jolie révérence :   « Non merci... non merci ! » Je ne voyais plus très clair et pourtant je me sentais bien. Incroyablement bien.
— Vous dansez ?
Cette fois, la fille s’avance ; mais j’ai vu, le temps d’un regard, qu’elle avait un visage anormalement rouge. C’est maintenant le noir absolu. Je tiens la main, probablement, d’une pauvre fille comme moi. Mes pas maladroits... et cependant : ma fierté ! Moi je danse, regarde-moi, Solange. Ma cavalière est pratiquement de ma taille. À la fin du premier tango je lui dis merci et nous restons serrés l’un contre l’autre dans le noir en attendant le second tango. Puis je remets mes bras autour de sa taille. Son visage n’a pas d’importance. Oh ! Comme je voudrais la voir pleurer de jalousie, ma Solange ! Me demander pardon et m’avouer que l’autre, elle ne l’aime pas... qu’il n’y a que moi dans son cœur.
C’est quand la lumière est revenue que j’ai vu la cicatrice dans le cou de ma cavalière : une cicatrice horrible dont je garderai longtemps le souvenir en mémoire. J’ai regagné ma place, je ne fanfaronnais plus. Robert avait encore changé de fille. Celle-ci, maintenant, était blonde. Vautrée sur une chaise, elle se laissait caresser sans la moindre pudeur. Leurs baisers n’en finissaient pas. Je me rendis compte alors que Solange avait de nouveau disparu.
— Garçon, dit un gars que je ne connaissais pas, remettez la même chose !
Je n’ai pas refusé : j’avais trop besoin de m’étourdir.
 
Le bal avait repris et le chanteur braillait toujours du haut de ses planches. Un brouillard devant mes yeux. Un éclat de lumière ; puis, tout à coup:
— Solange !
J’ai crié son nom. Elle était au bar, entre deux garçons entreprenants. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Comme une flèche, bousculant tout le monde, j’ai bondi à ses côtés en hurlant:
— Solange ! Solange !
— T’es drôle, me dit-elle.
— Viens avec moi, on retourne à Busigny !
Les deux gars s’en sont mêlés. Mais comme ils n’étaient vraiment pas méchants, cela s’est bien terminé. Ils m’ont fait une place auprès d’eux, m’ont commandé un verre. Et j’ai bu, j’ai bu... De la bière. Du cognac. Du vin rouge. Quand je me suis retrouvé seul au comptoir, pouvais-je réaliser ce qui m’arrivait ? Les yeux rivés aux bouteilles, je restais là, prostré. J’ai encore bien cherché à balbutier un mot ou deux, rien ne sortait plus de ma bouche. Puis le barman m’a servi un autre verre que je n’avais du reste pas demandé.
Le temps passait, j’avais le ventre plein, les idées folles. Plus d’idées même par moment. Grouillaient autour de moi maintenant toutes sortes de gens qui semblaient s’amuser avec moi. Des marrants, mais aussi des brutaux. Ils m’ont fait monter sur une table et, de là, j’ai harangué le chanteur, disputé la Solange, baissé mon pantalon... bref, n'importe quoi ! Bien plus tard dans la nuit, la musique s’est tue. Il a fallu partir. Par miracle, j’ai retrouvé le clou Vautrin ; mais je ne pouvais absolument pas monter dessus.
À la sortie du pays, juste sous le dernier réverbère... devinez qui j’aperçois? Solange ! Alors là, je crois qu’il ne pouvait rien m’arriver de pire et j’ai hurlé, du seul cri dont mon corps fût encore capable. C’était bien elle. La garce était là, couchée dans l’herbe avec, je vous le donne en mille... le chanteur !
Après, je ne me souviens plus de rien. La dose d’alcool, de douleur étaient trop fortes en moi : pris de pitié, le bon Dieu des ivrognes m’a fait soudain goûter à son septième ciel.

La suite de cette aventure, on me l’a racontée. D’abord je suis tombé comme une masse sur la route et une voiture a bien failli m’écraser. Puis Vautrin est arrivé, bien plus tard, tandis que les gendarmes m’avaient allongé sur la table d’un café. Vautrin gesticulait, à tort et à travers. Il n’en finissait pas de s’exclamer:
« C’est-y pas malheureux, tout de même ! Se mettre dans des états pareils ! »
Mais à quoi bon ? Le mal était fait. Les gendarmes, eux, ne masquaient pas leur tristesse, surtout après le départ du médecin qui s’était montré plus que sceptique sur mon cas et, du reste, n’avait pu garantir ma survie.
 
Si seulement, docteur, tu avais dit vrai!
    Mort, le Dindin de Busigny. Morte,
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