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L'immature

L'immature

Titel: L'immature
Autoren: Alain Garot
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dix kilomètres passent vite ; puis, dans la nuit, se détachent les premières lumières de la ville.
Solange a voulu marcher : elle avait sûrement un peu honte de sa monture. Quant à nous, nous sommes partis loin devant et nous avons garé nos trottinettes dans un coin sombre. Robert a mis son antivol et moi je n’ai rien mis du tout parce que le clou Vautrin ne vaut plus un sou. Puis nous sommes revenus sur la place où, déjà, Solange faisait connaissance avec d’autres garçons.
Si j’étais angoissé !
À part celui de la fête patronale de Busigny, c’était mon premier bal, ma première sortie nocturne.
Tout en grimpant les marches du grand escalier qui conduit à la salle des fêtes, Solange accompagnait déjà l’orchestre de sa plus belle voix.
— Ce sont les « Folsingers », me dit-elle. Ils jouent bien, tu vas voir.
Je ne lui ai rien répondu ; mais moi j’aime mieux l’orchestre de Busigny avec son accordéon. Là, au moins, même sans cavalière, on s’amuse.
Soudain une pensée me vient, comme un cheveu sur la soupe : ma tête pointue, est-ce qu’on va la voir quand je pénètrerai dans la salle ? Maman a beau me répéter souvent que ce serait bien pire encore si j’avais sa tête à elle, je n’arrive pas à me débarrasser de ce complexe. Du reste, ma mère sait-elle ce que c’est qu’un bal ? Y a-t-elle même seulement déjà mis les pieds ?
L’orchestre est tout près maintenant ; et Solange s’agite de plus en plus.
— « Retiens la nuit, pour nous deux jusqu’à la fin du monde. Retiens la nuit … »
Elle chante, Solange. Ma Solange que je tenais si bien serrée dans mes bras l’autre jour.
Arrive la dernière marche de cet escalier qui n’en finit plus. Et la gifle soudaine d’une musique trop forte et d’un jeu de lumières qui vous agresse sauvagement.
Je tremble. J’ai peur.
— Solange ? Où es-tu donc ? Attends-moi !
Solange paie sa place. Le guichetier, joli garçon, lui fait les yeux doux et cela ne semble nullement lui déplaire. Un peu plus tard je la vois encore chahuter avec une bande de gars quelque peu excités. Juste le temps de lui crier encore une fois : Solange ! Puis ce fut le bruit, la bousculade ; et je me retrouve à mon tour au guichet.
— Quel âge ?
— Dix-sept ans.
— Tiens donc, montre un peu ta carte d’identité !
Sur le coup, je n’ai pas compris. Je me souvenais que Solange, elle, n’avait pas eu besoin de présenter la sienne. Alors j’ai risqué:
— Pourquoi dois-je vous montrer ma carte d’identité ?
Le gars pointe du doigt la pancarte suspendue au mur : «INTERDIT AUX MOINS DE SEIZE ANS»
On me pousse dans le dos. J’ai honte. Solange, qui finalement a décidé de m’attendre un peu plus loin, semble aussi gênée que moi.
La place coûte deux francs et je n’ai pas d’autre choix que de piocher dans l’enveloppe contenant l’argent de la cantine de la semaine.
Le couloir maintenant. Un semblant de soulagement. Puis la musique qui reprend dans un immense nuage de fumée. Pire encore: le bruit sourd d’une basse trop forte qui fait vibrer les murs.
Solange s’est frayé e un passage jusqu’à la piste de danse. Robert est l à, lui aussi : Twist and twist !
La lumière des projecteurs me fait mal aux yeux. Dans ce monde de fous, j’ai comme la nausée. Pourtant, tout près de moi, un gars semble ravi.
— C’est psychédélique ! lance-t-il.
Encore un mot nouveau.
— Vachement bath ! renchérit une fille.
Et des cris... Que de cris ! Je me dis que c’est peut-être cela l’hystérie.
Soudain la danse s’est arrêtée. Une main est venue m’empoigner pour me traîner jusqu’à la table. Là, face à Robert et à Solange, j’ai commencé à émerger. Un froid en moi s’est aussitôt installé. Instinctivement, j’ai porté ma main à ma nuque et j’ai réalisé, encore une fois, que j’avais bien la tête pointue. Comble de malchance, je constate également que j’ai un énorme bouton rouge dans le cou. Réaction à mon malaise mental ? Sans doute.
Nullement embarrassée, Solange est allée tout droit vers l’orchestre : cinq beaux gars aux cheveux longs. Elle leur fait d’abord toute sorte de signes ; mais comme il y a beaucoup de bruit, elle crie:
— Un slow ! Un slow !
Le chanteur, en veste satinée, se penche alors vers elle ; et cette fois c’est mon cœur qui bat : si Solange venait à l’aimer plus que moi ! Parce que je ne me sens vraiment pas grand-chose,
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