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L'immature

L'immature

Titel: L'immature
Autoren: Alain Garot
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la tête pointue.
Mort le petit cocu !
Gendarmes, vous n’auriez pas dû pleurer : un mort ne souffre plus ! À quoi bon avoir flanqué un procès au barman. À quoi bon ces gens autour de moi et leurs soupirs de pitié. Je revins à la maison dans la voiture de M. le maire de Busigny et c’est maman qui me veilla toute la nuit.
Pauvre mère ! Elle pleurait, seule dans le noir, en me tenant la main. Si encore, en ces moments-là, j’avais pu lui dire que je ne souhaitais plus vivre, que je détestais notre société de mensonge, peut-être aurait elle moins souffert… Quand j’ai rouvert les yeux, le lendemain soir, maman avait dû comprendre le pourquoi de mon escapade, car elle me dit tout bas :
— T’en fais pas, va, une de perdue, dix de retrouvées !
Bonne mère !
Mais je ne la crus pas.

Ma pauvre maman me perdra bientôt : j’ai pris des cachets, une boîte complète de cachets rouges et blancs. Parce que, figurez-vous, il n’y a pas eu que cette histoire de fille. Non ! Il y a eu surtout ce terrible soir où Freddy est arrivé à l’improviste.
    Ce devait être une joie, ce fut un calvaire.

 

FREDDY
    Freddy, comme elle t’arrange, la guerre ! L’espace de quelques mois, toutes tes dents ont disparu. Toutes ! Une gencive dévastée. Maman t’a demandé ce qui t’était arrivé parce que tu n’avais vraiment pas bonne mine ; et tu lui as répondu que tu avais eu le scorbut. Drôle de nom. Drôle de maladie aussi.
    Il était quatre heures de l’après-midi quand tu nous as fait cette énorme surprise . Tu as beaucoup parlé avec maman. Du pays. De la guerre. Surtout de la guerre. Et même que tu en trembles encore. Comme je te connais, ce n’est pas étonnant. Maman, elle, essuyait une larme de temps en temps, tandis que tu racontais tes misères. Ta compagnie avait fait un prisonnier. Avant de le conduire dans la pièce aux supplices, ton capitaine l’avait giflé.
— Parle, chien de fellah ! disait-il.
    Mais le fellah ne parlait pas. Alors la torture devint l’unique et ultime recours.
    Voyant que je l’écoute, Freddy s’arrête de parler. Il se tourne vers ma mère, lui parle plus bas. Mais j’entends tout de même. Tu as dit, Freddy : « arraché un œil ! » . L’œil tombé devant toi. Une toute petite boule semblable à une chique d’écolier. Et le fellah qui hurlait, attaché. Impossible pour lui de porter la main à son mal.
— Parle donc, a encore crié le capitaine, sinon je t’enlève le deuxième!
    Moi, quand j’aurai l’âge de Freddy, je serai objecteur de conscience. Jamais je n’aurai de chef qui s’appelle « capitaine ». Jamais ! Ce sont des monstres ! Mais Freddy n’avait pas terminé son histoire.
    — Après, continua-t-il, comme le fellah ne parlait toujours pas, ils l’ont détaché. Si tu avais vu ça, maman ! Et dire que je n’étais qu’un pion, planté là, impuissant.
Quand le capitaine a demandé qu’on apporte le tison rouge, le fellah s’est mis à gesticuler dans tous les sens. Bientôt il n’y eut plus qu’un cri. Un râle plutôt. Une brûlure n’a pas suffi, le fellah ne disait toujours rien. Alors le capitaine se mit en boule et jeta son beau képi par terre. Le fellah mourut presque aussitôt.
— Maman, dit Freddy en sanglotant, tous les six, nous n’avons pas bougé...
Oui Freddy, c’est trop bête. Aujourd’hui tu es là, gagnant honnêtement ta vie à l’usine, bien tranquille dans ta misère. Tu n’as jamais voulu le moindre mal à personne, surtout pas à ces algériens, jadis frères, et l’on vient te prendre de force. Toi, le petit ouvrier, tu iras tuer ton prochain pour que de gros pleins de sous s’en mettent encore plus dans les poches.
Trop ému, Freddy n’a pu achever son récit. Le soir, il est allé au bistrot où il a dû retrouver ses copains d’enfance, car il est rentré à la maison passablement éméché. Maman riait même avec lui, et moi aussi. Pourtant je riais jaune parce que j’avais bien remarqué l’attitude étrange de Freddy.
Nous avons commencé à dîner. Maman avait fait des œufs à la coque et de la salade de pissenlits. Freddy, c’est vrai, en dépit des apparences, n’avait pas le moral et jurait:
— Putain d’guerre !
Il ne parlait jamais comme ça devant moi. Ma mère et moi, nous nous sommes regardés et, d’un commun accord, nous avons fait tout ce que nous avons pu pour ne pas le contrarier.
C’est alors que Vautrin rentra et dit bonjour à Freddy.
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