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L'honneur de Sartine

L'honneur de Sartine

Titel: L'honneur de Sartine
Autoren: Jean-François Parot
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n’avait-il pas affronté de pareilles émotions ? Restait qu’elles se multipliaient au fur et à mesure que grandissait l’afflux des désœuvrés venus des provinces pour chercher meilleur sort dans la capitale du royaume. La richesse côtoyait la plus atroce misère. La ville tentatrice aspirait une population attirée par la rumeur qu’on y engageait sans compter des domestiques. Le prestige de la livrée et les perspectives d’une vie oisive entraînaient une foule de paysans ou d’ouvriers des provinces. Le cruel tourniquet de la chance en décevait beaucoup. Le nombre de ceux qui cherchaient à se placer en condition excédait la demande tant la hausse des prix, notamment des subsistances, engageait les maîtres à réduire leur train domestique.
    La foule continuait à gronder, grand fauve incertain. Chacun mêlait sa parole à celle des autres. Expressions du scandale, conseils hurlés, interrogations répétées de ceux qui, venant d’arriver, s’inquiétaient du tumulte, tout concourait à cette cacophonie. Parfois le cri d’une femme, comme prise de folie, ou celui d’un nourrisson que le bruit et la poussière soulevée
par cette foule piétinante effrayaient, s’élevaient stridents. Chacun voulait se faire entendre, vociférait des paroles, haussant son registre dans l’espoir de dominer celui des autres et d’attirer l’attention. Les injures, les questions, les exclamations fusaient de toutes parts. Parfois, sans que rien ne les justifiât, des appels au meurtre éclataient dont on ne savait qui les prononçait.
    Impassible, Nicolas contemplait la cohue sans perdre de vue la femme à qui il allait s’adresser. Il leva sa baguette d’ivoire et en frappa plusieurs coups sur la portière du carrosse. Son geste, plus que le son qui en émana, fut perçu par la masse hurlante. D’abord les premiers rangs se turent, ce qui entraîna, de proche en proche, les suivants à faire silence. Un calme relatif s’établit. Il ôta son tricorne et lentement salua à la ronde, geste dont la courtoisie fut ressentie et qu’un murmure flatteur approuva. Il désigna la grosse femme choisie pour entamer le dialogue avec le peuple. L’expérience lui avait appris à toujours répondre aux questions informulées que toute émotion populaire signifiait.
    – Allons, ma commère, pourquoi tant de bruit ? Vous me paraissez femme de sens rassis. Expliquez-moi, je vous en prie, le pourquoi de ce désordre ?
    La foule s’écarta d’elle et, attentive, fit cercle. Elle rougit, esquissa une révérence gauche et, l’émotion lui coupant le souffle, répondit à Nicolas.
    – Sauf vot’respect, monsieur le commissaire, y a point d’années qu’on n’a houspillé pour voir cesser cette infection. On souffre, on est malade, nos enfants crèvent. On a crié sous le feu roi, on nous a point répondu. On nous oublie !
    Le tumulte reprit avec des cris d’approbation.
    – Foutu gueux ! Coquin ! On te va casser les reins, cria une voix lointaine.
    – Mes amis, mes amis, reprit Nicolas, ignorant les menaces, pourquoi croyez-vous que je suis devant vous ? C’est votre magistrat, M. Le Noir, lieutenant général de police de Sa Majesté, qui m’a chargé moi, commissaire au Châtelet, de venir enquêter et vous entendre. Allons, vous savez quel souci il a du bonheur du peuple.
    Des vivats éclatèrent, les visages s’éclairèrent. Comme ce peuple était versatile, qu’une parole dont il éprouvait la sincérité et le respect l’apaisât. Nicolas l’avait souvent constaté. Le contraire, hélas, était aussi vrai.
    – Nous soyons bien aise de vos bonnes paroles, reprit la commère, mais…
    – Oui, oui, cria une voix d’homme. Tu te fais baiser par la pousse, grosse vache ! C’te pourrie, c’te raccrocheuse !
    Furieuse elle se retourna, se rebéquant les mains sur les hanches.
    – C’est point malin de baliverner ainsi et de se gausser d’une pauvre femme qui cause pour vous et vos petiots. Moi je dis que notre commissaire a l’air bien honnête et que nous avons tout lieu d’être content de ce qu’il jase.
    Et elle ajouta, méprisante.
    – Encore un qu’a trop chopiné ! Et ça fait du carillon ? Jaboteur, va !
    Il y eut des rires et des battements de mains. Nicolas saisit l’occasion d’assener son message.
    – Je vais de ce pas visiter la maison concernée. Je constaterai les faits, j’en rendrai compte à M. Le Noir. Des médecins, des architectes, des
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