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L'honneur de Sartine

L'honneur de Sartine

Titel: L'honneur de Sartine
Autoren: Jean-François Parot
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tout me nuit… Parfois le labeur m’excède.
    Nicolas songea que tout Le Noir se résumait dans ces quelques plaintes. Ses scrupules, son côté laborieux et parfois son incapacité, par souci de perfection, d’aller à l’essentiel. Ce qu’à cette même place savait si bien faire Sartine avec sa légèreté affichée, son ironie et aussi son cynisme. Pourtant l’un et
l’autre remplissaient leurs charges par des voies différentes. Seulement Le Noir avait souci par tempérament d’écarter de son ministère toute rigueur excessive, à la dissemblance de son prédécesseur que nul état d’âme ne tempérait.
    – Monseigneur m’a fait chercher…, murmura Nicolas, rappelant à propos que tout laissait supposer qu’une question urgente était pendante.
    – Certes, certes, et pour du mauvais… Tout Paris va me tomber sur le dos. Imaginez-vous que tout s’effondre au cimetière des Innocents ! Vous connaissez mieux que d’autres une situation que vous m’avez souvent rapportée. Les chats-fourrés du Parlement vont sortir leurs griffes. Il ne manquera plus qu’eux. L’auguste assemblée a par trois fois dans le siècle appelé à des mesures de suppression des cimetières et de l’inhumation dans les églises. À raison !
    – Où l’on respire un air méphitique, en particulier l’été.
    – La Reynie, mon plus illustre prédécesseur, avait demandé par testament n’être point inhumé à l’intérieur d’aucune chapelle pour éviter, disait-il, de continuer par la pourriture de son corps à la corruption et infection dans les lieux où les Saints Mystères sont célébrés et où les serviteurs du Seigneur passent la plus grande partie de leur vie.
    – D’aucuns moins scrupuleux continuent à s’opposer à cet assainissement.
    – Pardi ! Et pour cause. Pensez-vous que ce progrès arrangera les prêtres, qui ne sont pas moins avides que les financiers ? L’honneur de pourrir dans leurs églises leur rapporte des sommes considérables. Mais je m’égare. Il se passe d’étranges choses aux Innocents.
    – Il y règne en permanence une atmosphère irrespirable. J’ai peine à imaginer comment les écrivains publics qui travaillent dans les galeries avec au-dessus d’eux les greniers où pourrissent des milliers de têtes, peuvent y tenir.
    – Et où nos coquettes vont prendre la mesure de leurs pompons et autres colifichets.
    – Et donc ?
    – Justement il y a apparence que les morts ensevelis envahissent une maison du côté de la rue de la Lingerie. Le lait se gâte, le bouillon tourne, tout s’aigrit en peu d’heures dans les rues voisines du cimetière. Soutiré, le vin même se couvre de mères  ! Que sais-je encore ? Bref le peuple gronde, on s’assemble, on jacasse. Le Parlement va y ajouter son tracassin, je le pressens. Je veux le rapport d’un homme froid sur la question. Allez, mon ami, courez et revenez vite m’informer. Gardez ma voiture.
    La bénignité du ton ne démentait pas l’énergie de l’exorde. Nicolas sourit, salua. M. Le Noir se replongea dans ses papiers en soupirant.

    Le carrosse rejoignit la rue Saint-Honoré, voie la plus directe pour gagner le cimetière des Innocents. À l’angle des rues de la Ferronnerie et de la Lingerie, l’équipage fut arrêté par une foule bruyante. Des femmes de la halle voisine, véritables harpies, l’interpellèrent, le verbe haut. Les propos tenus étaient rudes, haineux. Nicolas savait à quel point le peuple le plus policé de l’univers pouvait l’instant d’après faire faillir sa réputation et se transformer en une masse cruelle et vociférante. Des êtres d’habitude aimables et bénins n’entendaient plus que leurs fureurs et frénésies. Ces sentiments extrêmes pouvaient conduire à d’insupportables violences. Nicolas
enfila sa robe noire de magistrat et, brandissant sa baguette d’ivoire, symbole de son autorité, se campa sur le marchepied du carrosse.
    Il fallait sans barguigner reprendre les choses en main et ne laisser paraître aucune faiblesse. Par expérience, il savait que pour se faire entendre, sinon écouter, il devait dans cette foule choisir à qui il s’adresserait. Sa force de conviction s’appuierait sur un visage. On suivrait leur dialogue et la tension baisserait. Il eut vite fait son choix. Une gaguie, son visage replet plissé par les glapissements qu’elle poussait à l’unisson, lui sembla la proie favorable à son dessein.
    Combien de fois
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