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L'honneur de Sartine

L'honneur de Sartine

Titel: L'honneur de Sartine
Autoren: Jean-François Parot
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porté par un fermier général n’anoblissait pas pour autant un patronyme qui sentait sa roture d’une lieue. Sa rancune l’égarait, il oubliait l’origine lointaine des Chamberlin, sa propre branche. Il en était ainsi de nombre de familles de robe et de finance. C’était l’honneur, la manière de se comporter et la modestie d’un rang qui insensiblement faisaient coïncider la noblesse des charges et des offices, ces savonnettes à vilain , avec la qualité
des cœurs et des talents. Il eut un sourire amer ; il y fallait beaucoup de volonté… et d’honnêteté.
    Avait-il, lui-même, toujours observé ces règles qu’il eût aimé voir révérer par son neveu ? Nul n’était parfait et à l’âge auquel il était parvenu et dans son état, rien ne servait de se leurrer. Quelques sombres épisodes déparaient une vie en apparence lisse aux yeux du monde. Longtemps il avait tenté de les oublier ou de les justifier de bonnes raisons, en vain. Un craquement le fit sursauter. Encore ces parquets qui travaillaient sans cesse, comme aussi les boiseries. Pourtant cela semblait bien proche… Toujours cette mauvaise oreille ! L’hôtel de Bougard sentait encore le neuf, comme son maître parvenu ! On œuvrait trop vite aujourd’hui dans ces faubourgs nouveaux sans laisser aux artisans le temps de peaufiner les choses. Toute la maison semblait soucieuse de prendre ses aises en étirant ses articulations. Il eût aimé en faire autant.
    Il sentait monter cette oppression, cette douleur insistante, qui se répétait trop souvent. Allons, il ferait mieux de cesser de réfléchir. Il avait noté cette tendance à la rumination des pensées, marque sans doute de sa décrépitude. Les craquements se multipliaient. Ah ! Ce bois trop jeune. Et dire qu’il avait eu la faiblesse d’apporter des fonds à cette folie sous le fallacieux prétexte qu’il serait accueilli en famille ! Il avait cédé à sa nièce et loué sa maison sur l’île de la Cité. Combien il la regrettait ; ce changement l’avait achevé ! Folie était bien le mot. Un instant il s’amusa du double sens du mot. Dans son esprit il s’agissait de démesure, de celle dont les dieux affligeaient les humains qu’ils voulaient perdre. Amer, il ricana. Il n’aurait plus manqué que son neveu en vînt à s’enticher de ces constructions fastueuses
dont le comte d’Artois avait offert l’exemple à Bagatelle, où son voisin Sainte-James bâtissait à son tour, à grands frais, demeure, jardins et fabriques et même un gigantesque rocher. Pour le coup Bougard s’était limité à un hôtel particulier, encore bien trop opulent… De nouveau il respirait avec peine. En bas on paraissait s’amuser ferme.
    Il songea soudain à ses petits-neveux. Armand, l’aîné, suivait les traces de son père. Fiancé à une fille de bonne noblesse, il continuait à mener une vie de roué. Se reprendrait-il en main ? N’était-ce que gourme jetée au vent ? C’était douteux, l’animal était vicieux. Enfin, il allait le serrer comme une proie… Et plutôt deux fois qu’une. Charles, le cadet à peine sorti de la prime enfance, tenait de sa mère et surprenait déjà par son sérieux. On était en droit de faire fond sur ses qualités. Son cœur saignait en pensant à cet enfant charmant, adoré en secret par sa mère, mais souffre-douleur du reste de la famille, et cela pour des raisons qu’il n’avait jamais réussi à démêler. Bien sûr une hanche déformée qui le faisait boiter lui était portée à tort, mais enfin était-ce une raison ?… Son père demeurait indifférent, mais ne lui passait rien… Son frère le méprisait ouvertement. En butte à la vindicte quotidienne de sa grand-mère, souvent il se réfugiait chez lui, son parrain, où personne ne se serait hasardé à le quérir. De longues heures il lisait, assis sur un carreau contre le grand fauteuil du vieillard, le fixant parfois de ses grands yeux noirs empreints de mélancolie.

    Il soupira ; il ne verrait pas l’avenir. Il allait mourir, et bientôt. Il le savait en dépit des paroles rassurantes de M. de Gévigland, son médecin. Ses accès d’étouffement se multipliaient. Il songea derechef
au mariage de sa nièce. Des fonds contre un nom ! Une infamie que son frère, pris au piège, n’avait su ni pu éviter. Lui, on ne l’avait pas même consulté, connaissant à l’avance les arguments qu’il opposerait au traité. Maintenant il se reprochait de
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