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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur
Autoren: Pierre Naudin
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malandrin pour malandrin, je préfère tout de même Henri. Lui, au moins, n’est pas fils de Juif !
    Afin de conserver son séant au sec, il était assis sur son bouclier – d’argent à trois bandes de gueules 21 . Il n’avait pas quitté depuis l’aube son paletoc de lame noire et le chaperon qui l’embronchait jusqu’aux sourcils.
    – Juif, dis-tu ? s’étonna son compère assis à cacaboson, les bras croisés, les poings au chaud sous les aisselles. C’est ce que t’a dit Alain Raoulet ce matin ?
    Lui, c’était Jacquemart Cabus. Grand, glabre, le cheveu dru, il paraissait insensible au froid dans son hoqueton de cuir sous lequel, à l’encolure, moussaient les poils d’une pelisse de mouton. On ne voyait que son nez dans sa face triangulaire, un appendice rouge avec, à sa pointe, la perle glauque d’une incessante roupie.
    – Oui, c’est Raoulet qui me l’a dit. Et Bertrand me l’a confirmé.
    – Juif ! s’exclama Cabus. Quand je conterai ça à mon frère, il me dira : «  Ils font la loi  », mais je ne peux pas croire, moi, qu’un circoncis pose son potron sur le trône de Castille.
    – Circoncis ? Faudrait voir, dit Paindorge.
    – Faudrait voir, soupira Jacquemart Cabus.
    Son aîné gouvernait le château de Selles, à Cambrai. Sacrifiant aux usages du temps, les deux frères avaient pour armes un chou cabus et pour devise Tout n’est qu’abus. Tristan se demanda quels excès cet homme commettrait bientôt.
    – Les ennemis de Pèdre l’appellent Petrezil, reprit Galiffer de Jumelle. Et ça, depuis la mort de son père. Ils prétendent que sa mère a eu un fils – lui – d’un Juif qui s’appelait Zil 22 et qui était le conseiller d’Alphonse. Mais là encore, qui peut en être sûr, sauf la dame ?
    – Mangeons, dit Tristan que ces parlures, après celles de Guesclin, agaçaient. Qu’y a-t-il, mes compères, au repas de ce soir ?
    – Du bacon, dit Paindorge, dur comme nos semelles, mais qui s’amollit sous cette pierre-ci. Des tranchoirs 23 finement coupés par messire Cabus, quatre oignons, huit panais que nous ferons griller, et dans les calabazas que messire Cabus a robées à Pampelune, de quoi nous égayer sans être saouls… J’ai dû piéter un quart de lieue pour obtenir ces merveilles, et bien que gêné par ma besace, j’ai dû tirer l’épée pour éloigner les envieux.
    – Mangeons, répéta Tristan. Tous ces hommes m’ont courroucé presque autant que la froidure.
    – Si ça se trouve, Henri est juif aussi, dit tout à coup Paindorge.
    Il rit et fut le seul.
    – Pourquoi pas le pape ? dit sombrement Cabus.
    – Pourquoi pas lui ? reprit Paindorge. Et tous les clercs…
    – Qu’est-ce que tu dis là ? grommela Jumelle.
    – Eh bien, oui, fit l’écuyer en écartant, de l’extrémité de son perce-mailles, la pierre sous laquelle s’attendrissaient les tranchoirs, eh bien, oui : les gens de notre sainte Église ne sont-ils pas circoncis… sur le crâne ?
    – Certes, certes, approuva Jumelle, mais eux, au moins, ils n’enfantent pas des bâtards !
    – Qu’en sais-tu ? demanda Tristan inquiet, soudain, du cours que prenaient ces propos. Le vœu de chasteté… le vœu de chaste ôté, ce sont des hommes comme nous. En Castille, les prêtres, les évêques ont autant de concubines que les Maures dans leurs harams. En Avignon, où j’ai naguère accompagné le roi Jean, les gens de Dieu faisaient des ripailles immondes.
    Il dévisagea Jumelle et Cabus, ébaubis, mais qui ne doutaient point de la véracité de ses propos :
    – Croyez-moi, mes bons compères, ni vous ni moi ni notre grande armée ne ferons le ménage sur les terres que nous allons exiller (375) . Et je ne cesse de me demander si Dieu lui-même y parviendrait.
    Ce n’était pas un blasphème mais l’expression désenchantée d’un doute et d’un mésaise immenses.
    Chacun baissa la tête et regarda le feu.
    *
    Après Tafalla, Olite, Tudela calfeutrées dans leurs murailles dès les premiers appels des campanes, l’Aragon s’entrouvrit à Guesclin et à son armée. Jusqu’au dernier chariot du bagage, le bruit courut que Pierre IV s’était porté à la rencontre du Breton pour lui demander de surveiller ses hommes et le prier d’entrer à son service afin qu’il partît guerroyer pour lui en Sardaigne où son autorité périclitait. Le Breton avait refusé tout net cette proposition : la Sardaigne était pauvre ; mieux valait qu’il
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