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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur
Autoren: Pierre Naudin
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dit-il, désavouant du regard son père de rester coi. On peut avoir une bourse grosse comme ta hure, Bertrand, et ne point tirer un « encore » à la femme qu’on chevauche. Ton épouse, dit-on, contemple les étoiles… L’as-tu envoyée au septième ciel ?
    Cette réponse ad rem suscita quelques rires. Les hommes qui n’osaient s’ébaudir grimaçaient en se retenant. Guesclin brandit son poing nu, tavelé de rouge : les engelures ne l’épargnaient pas.
    – Revenons aux Mahoms, messires !… Sachez que leur défaite à Cordoue a eu pour conséquence le soulèvement de quelques cités d’Andalousie qui vivaient sous leur joug : Jaén et Ubeda, entre autres… Le roi de Grenade, ce porc, les a conquises et détruites… Nous vengerons les preux qui les ont défendues.
    – Nous les vengerons ! dit Henri de Beaumont qui, décidément, se montrait sans rancune.
    – Ce que je sais encore, mes compères, c’est que Pèdre a pris peur quand ses alliés, les Mores, se sont massés à l’entour de Séville, sa bonne ville !
    Tristan songea, morose, à Francisca. Qu’était-elle devenue ? L’avait-elle oublié ? Un cœur aimant se cachait sous sa fausse insouciance. Avait-elle pris un amant ? Plusieurs ?… Elle flottait sur l’écume de souvenirs colorés, certes, mais amers. Il n’avait point cherché le plaisir dans ses bras – tout au moins au début -, mais un remède à sa solitude. Il se sentait alors abandonné, perdu. Maintenant, il l’était encore, mais s’il advenait qu’il revînt à Séville, il ne chercherait point à revoir la danseuse. On ne débride point une plaie à peine cicatrisée. De plus, son cœur appartenait à Maguelonne.
    – Pèdre est un monstre, messires, tonna Guesclin. Un perro, un chien ! Il a cédé moult châteaux à Mohamed. Il lui a permis d’emmener des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants en servitude (373) . C’est Pèdre qui a commis ces méfaits !… Souvenez-vous-en lorsque nous lui livrerons bataille !
    Il y eut un silence lors duquel Tristan songea : « Ça te va bien de t’indigner ! » Il se sentait étranger à ce conseil. Entendre condamner les crimes et les bassesses d’autrui par un Breton qui abominait la vertu comme une offense à lui seul adressée ne manquait pas de piquant. Bientôt, dans cette guerre qui se préparait, toute dignité humaine serait exclue. Les malsaines, les méchantes, les affreuses médiocrités se tendraient comme autant d’arcs et les épées tailleraient dans les chairs vives. Sans honte ni remords et sans se dire « que fais-je en ce pays qui ne m’est rien alors que le mien souffre la géhenne en raison des routiers qui l’infestent ? » les chevaliers de France fériraient des Espagnols sans même savoir au préalable, de Pèdre ou de Henri, vers quel despote allaient leurs préférences.
    – Or, ce n’est pas tout, messires… Tenez-vous bien : Pèdre a abjuré sa foi chrétienne pour embrasser la religion du Soudan de Grenade !
    Un cri d’horreur s’éleva, poussé par Eustache de la Houssaye. Un rugissement. Bientôt, la stupéfaction, l’indignation et l’incrédulité s’exprimèrent dans un concert de «  Oh ! » et de «  Ah ! » qui arrachèrent un sourire à Guesclin.
    – J’avais, messires, gardé cela pour la bonne bouche !
    Tristan avait ouvert la sienne par précaution. Aucun son n’en était sorti. Il doutait de la véracité d’une pareille apostasie. Quelque terrible qu’il fût, Pèdre était un dévot. Évêques et presbytériens remuaient, priaient et prophétisaient à l’entour de sa personne. Certes, il advenait qu’il demandât conseil à des Juifs, mais les gens d’Église n’y voyaient point ombrage.
    – Or çà, messires, ce n’est point tout ! J’ai mieux encore à vous dire, et je tiens cela du dernier chevaucheur que notre bon Henri m’a envoyé… et qui mange et se réchauffe dans le pavillon de mon frère Olivier. Pèdre, inquiet et ne sachant où donner de la tête, a demandé conseil au Maure Benahatin…
    – Qui est-ce ? demanda le Petit-Meschin, la face penchée en gargouille.
    – Un grand astronomien, conseiller du roi de Grenade, car vous pensez bien qu’il n’a pas trouvé chez les Chrétiens circonstans 18 un seul homme pour l’éclairer 19 .
    Tristan fit un pas de côté pour quitter sinon fuir le conseil. Guillaume de Laval fût sur le point de l’imiter. Guesclin hurla :
    – Je n’ai point
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