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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur
Autoren: Pierre Naudin
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Savoie ; et une main posée sur l’épaule du sublime bourreau des faibles et des innocents, Elias Machin, dit le Petit-Meschin, une sorte d’hercule au regard d’archange : Bras-de-Fer. Il y avait aussi, en retrait, Emerion Estonne, le Bâtard de Penie, et quelques écuyers inconnus de Tristan.
    Qu’ils fussent grands ou courts sur pattes, maigres ou gros, glabres, moustachus ou barbus, tous avaient le même air lugubre de fantômes ressuscités. Tristan pressentit que leurs faces faussement gaies ou résignées, attentives ou distraites, leurs regards de fauves assagis par un dompteur à leur semblance, leurs rires hoquetants, pointus ou graveleux hanteraient longtemps ses nuits et peut-être ses jours. Tous semblaient sortis des caveaux sombres et fumeux des cités mortes ou moribondes – à cause d’eux -, et ne vivre que dans l’espérance de leurs prochains forfaits. Quelque chose de farouche et d’innombrable, une sorte de suaire tissé par leurs haleines rudes et parfois rauques, les enveloppait.
    « Des monstres, des incubes comme ceux de notre première venue… D’ailleurs, la plupart en étaient. »
    Il y avait, serrée à l’entour de sa personne, la canaille invincible et soumise, pesante et puante, assujettie, une fois de plus, à la volonté d’un seul maître : Guesclin.
    « Ah ! Comme il est moult aise de se sentir respecté ! »
    Depuis sa rencontre avec le Breton sur le chemin de Villerouge, c’était la première fois que Tristan pouvait voir ses singuliers compagnons au complet – ou presque. Il craignait tellement d’être dupe de ses regards qu’il touchait parfois Paindorge du coude ou de l’épaule pour sentir près de lui cette présence rassurante. Comme lui, mêlée d’inquiétude ou d’effroi, mais en tout cas fascinée, la curiosité de l’écuyer cheminait vers il ne savait quelles ténèbres. Pour eux, l’ensemble de ces « justiciers » dont certains avaient bassement obéi aux injonctions du duc d’Anjou, orfèvre en vilenies, était aussi redoutable que la truanderie de Brignais.
    « Et dire que nous allons devoir les costier pendant de longues semaines et les voir se repaître de meurtres, de tourments, de sang et de flammes ! »
    Pendant ce temps-là, chez Pierre Massol, à Villerouge, Maguelonne songeait peut-être qu’il s’accordait du bon temps !
    – On aurait mieux fait de rester près de notre feu, chuchota Paindorge.
    – C’est bien mon avis. Mais tais-toi. Oye et observe.
    Tristan détestait qu’on l’eût instamment convié à ce conseil. Bien qu’il abominât ces soi-disant prud’hommes, il était tenu de se montrer courtois envers eux, excepté le Petit-Meschin qu’il eût occis avec plaisir si l’occasion lui en avait été fournie. C’était une ignominie que ce forfante qui avait été parmi les vainqueurs de Brignais où quelque vingt mille hommes de l’ost de France avaient péri, fût désormais considéré, par la grâce de Guesclin, comme un solide serviteur du royaume et soldé en conséquence avec permission, lorsqu’il serait en Castille, d’accomplir tout ce dont il aurait envie.
    Ce soir-là, comme chaque fois qu’il se trouvait en présence de ces falourdeurs 6 auxquels Charles V accordait sa confiance, Tristan se demanda comment des chevaliers authentiques, s’il en existait encore, eussent pu se sentir à l’aise parmi des milliers de bataillards sans foi ni loi qui perpétraient avec une jubilation affreuse, toutes sortes d’énormités 7 .
    « Quant à Guesclin… » songea-t-il.
    Bien qu’il s’en défendît, le Breton ne cessait de lui en imposer tant par la puissance de son personnage que par sa façon de l’interpeller avec une hargne, une hautaineté qui confirmaient, s’il en était besoin, une aversion d’ailleurs bien partagée. Le Breton n’était point sujet à vaciller sous les assauts des intempéries mentales. Il ne craignait ni les haines humaines ni l’adversité de la nature, même lorsque les éléments les plus mauvais de celle-ci s’unissaient, comme en ce mois de décembre, pour contrarier ses desseins. Il vivait dans un monde aussi clos que son armure. Comme d’autres, pour exister, avaient besoin de vin et de chère, de chaleur et de sollicitude, il lui fallait du sang et des plaintes, du feu et des supplications. Son œil distrait mais infaillible décelait tout. Tristan savait que cet ennemi, sur le chemin de Villerouge, avait surpris dans son regard sa crainte
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