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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur
Autoren: Pierre Naudin
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d’arrière-garde ou les accablaient de loin, de leurs traits. Nul ne se fut risqué à poursuivre ces escarmoucheurs en montagne. Parfois, des arbres récemment abattus empêchaient le passage. On se mettait à vingt ou trente pour dégager un chemin noyé de blanc et à peine était-on reparti qu’apparaissaient de larges fosses où les chevaux, déjà bien mal heureux, eussent pu se rompre un membre. Sur ces pentes enneigées, les charrettes s’enfonçaient jusqu’aux essieux et les bêtes jusqu’au ventre. Les bagages ne pouvaient suivre. On les attendait impatiemment à la vesprée autour de nombreuses flambées lamentables et fumeuses. Les viandes cuisaient mal ; le vin se pailletait de glaçons ; le pain dur comme du granit ne s’amollissait point sur ces foyers de pauvres, mais s’imprégnait d’un goût de cendre.
    – On se gèle les sangs, grommelait de loin en loin Paindorge, presque ébahi de vivre encore. On endure ce qu’ont enduré le prince de Galles et son armée lorsqu’ils sont venus, l’an passé, en Espagne.
    – C’est comme une revanche que ce satrape nous impose.
    – Manquerait plus que Pèdre, tout seul cette fois, parvienne à nous déconfire !
    – J’en connais un qui le mérite !
    – On dit que nous manquons de tout depuis cinq jours. Les pourvoyeurs et la vitaille n’ont pas pu suivre. Demain, après-demain, on verra plus de morts qu’on en a vu jusqu’ici.
    – Nous n’avons plus rien derrière nous, mais devant, nous avons un conduiseur exemplaire !
    Comme son écuyer, Tristan n’osait trop parler et encore moins sourire : ses lèvres gercées, fendillées, le lui interdisaient. Guesclin l’avait inclus dans son ost par la menace. Il le suivait, résigné, tout en se félicitant de le voir souffrir du froid autant que le dernier archer de ses piétailles.
    On avançait dans une litanie d’injures, d’exclamations, de plaintes, de hennissements de chevaux maltraités parce qu’enlisés dans la neige et la glace qui leur entamait les jambes. C’était pour tous, hommes et bêtes, l’égalité dans la souffrance, parfois dans le désespoir. Et Tristan ne doutait pas que Malaquin, tout vaillant qu’il fût, et le Flori de Paindorge, ne trouvassent insensée la nouvelle expédition contre Pèdre.
    « Si Maguelonne savait !… Si elle nous voyait ! »
    De se trouver parmi ces milliers de guerriers à peine dominés par quelques seigneurs gelés des orteils aux oreilles, il éprouvait une espèce de honte. Il allait donc devoir se battre une fois de plus pour un suzerain sans mérite contre un suzerain immonde. La crainte ne le mordait pas encore aux entrailles mais son esprit, déjà, se déchiquetait : «  Qu’est-ce que je fais là ? J’étais si bien à Villerouge ! » Il en convenait maintenant. Seulement maintenant. Faisait-il beau et chaud par-delà les montagnes ? Comment vivaient les manants de Villerouge ? Les clercs ? Alazaïs, Sibille et Maguelonne se lamentaient-elles d’une absence imméritée auprès de Lebaudy et Lemosquet ?
    Quand donc s’achèverait cet hiver inhumain ?
    On apprit par un espion – mais était-ce vrai ? – que le roi de Navarre avait depuis longtemps donné commission au vicomte de Castelbon et au sire de Paillats d’agresser les gens de France. Guesclin ne se connaissait qu’un seul ennemi : le froid. Le visage emmouflé dans une barbe grise, le Petit-Meschin approuva la décision du Breton d’avancer, d’avancer toujours jusqu’à ce qu’on fut en plaine : il serait bien temps de châtier Castelbon et son compère au retour s’ils se montraient hostiles aux Français 3 .
    Ce soir-là, sous le pavillon du Breton où tremblait un feu maigre, Tristan put enfin voir réunis la plupart des capitaines. Outre le scandaleux Petit-Meschin qui semblait raccourci, écrasé par le fardeau de ses innombrables abominations, il y avait au coude à coude le maigre et taciturne sire de Launoy au prénom d’Innocent, Olivier Guesclin, frère du commandant suprême (371) Alain et Henri de Mauny – leur troisième frère, Olivier, étant auprès du Bègue de Villaines. Il y avait encore Eustache de la Houssaye dont le mains-né, Alain, secondait le Bègue ; Guillaume de Laval, Jacques de Pénéodic, Maurice de Trésiguidy, Henri de Beaumont, fils de Jean de Hainaut, et son hoir 4 Alain ; un autre Alain : Raoulet ; les bourcs 5 Camus, Lesparre, Caupene ; Batillier, Amanieu d’Ortige, Perrot de
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