Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les murailles de feu

Les murailles de feu

Titel: Les murailles de feu
Autoren: Steven Pressfield
Vom Netzwerk:
qu’un dème d’Athènes, de Corinthe ou de Thèbes, qui avait été plus pauvre que Mégare, Épidaure ou Olympie, mais qui était néanmoins une ville. Notre ville, ma ville. Il n’en restait plus rien. Nous qui nous appelions Astakiotes, nous avions été rayés avec elle. Qu’étions-nous donc sans une ville ?
    Le délitement des facultés semblait avoir atteint tout le monde. Personne ne pouvait plus penser. Nos cœurs étaient écrasés par la douleur. La vie était devenue comme une pièce de théâtre, une des tragédies qu’on avait vue représenter sur scène, la chute d’Ilion ou le sac de Thèbes. Mais ici, c’était la réalité, interprétée par des acteurs de chair et de sang, nous-mêmes.
    À l’est du champ d’Arès, où furent enterrés les combattants, nous tombâmes sur un homme qui creusait une tombe pour un petit enfant. Enveloppé dans le manteau de l’homme, le petit cadavre gisait au bord de la tombe. L’homme me demanda de le lui tendre. Il craignait, disait-il, que les loups n’en fissent leur pâture, et c’était pour cela qu’il avait creusé un trou si profond. Il ne connaissait pas le nom de l’enfant. Une femme le lui avait confié pendant la fuite hors de la ville et il l’avait transporté pendant deux jours. Au matin du troisième, l’enfant était mort. Bruxieus ne voulut pas me laisser soutenir le petit cadavre ; cela portait malchance, expliqua-t-il, qu’un jeune vivant en portât un mort. Il le fit donc lui-même. Nous reconnûmes alors cet homme. C’était un mathematikos, professeur d’arithmétique et de géométrie de la ville. Sa femme et sa fille sortirent des bois et nous comprîmes qu’elles s’étaient cachées jusqu’à ce qu’elles fussent sûres que nous ne leur voulions pas de mal. Elles avaient perdu l’esprit et Bruxieus nous le fit comprendre par signes, à Diomaque et moi. Et, comme la folie était contagieuse, il fallait s’en aller.
    — Nous avions besoin de Spartiates, dit le professeur, d’une voix basse et l’œil larmoyant, il eût suffi de cinquante pour sauver la ville.
    Bruxieus nous fit signe de partir.
    — Vous voyez comme nous sommes atteints ? reprit l’homme. Nous errons, égarés, hors de nos sens. Vous ne verriez jamais des Spartiates dans cet état. Tout ça, dit-il en montrant du geste le paysage noirci, c’est leur élément. Ils traversent ces horreurs avec le visage clair et la jambe ferme. Et ils détestent les Argiens. Ce sont leurs pires ennemis.
    Bruxieus nous tirait par le bras, mais l’homme éclata : cinquante Spartiates ! Sa femme le tirait aussi vers l’abri des forêts. Cinq ! Un seul nous aurait sauvés !
    Au soir du second jour, nous retrouvâmes le corps de la mère de Diomaque, et celui de ma mère, puis celui de mon père. Une escouade de fantassins argiens campait dans les ruines de notre ferme. Les villes de nos conquérants avaient déjà envoyé des gens du cadastre et des arpenteurs. Cachés dans les bois, nous les regardions marquer les parcelles de terrains avec leurs bâtons et tracer sur le mur blanc du potager de ma mère le nom du clan d’Argos auquel appartenaient désormais nos terres.
    Un Argien sorti pisser nous aperçut. Nous nous enfuîmes, mais il nous appela. Quelque chose dans sa voix nous fit croire que ni lui ni les autres ne nous voulaient de mal. Ils étaient pour le moment repus de sang. Ils nous firent signe et nous remirent les corps. Je lavai la boue et le sang du corps de ma mère avec le gilet qu’elle m’avait façonné pour le voyage promis à Ithaque. Sa chair était comme de la cire froide. Je ne pleurai pas, ni quand je l’habillai du linceul qu’elle avait tissé de ses mains et que j’avais retrouvé miraculeusement dans son coffre, ni quand je les enterrai, elle et mon père, sous la stèle qui portait les insignes de nos ancêtres.
    J’eusse dû connaître les rites, mais on ne me les avait pas encore enseignés, car on attendait mon initiation dans la tribu, quand j’aurais eu douze ans. Diomaque alluma la flamme et les Argiens chantèrent le péan, le seul chant sacré qu’ils connussent :
    Zeus sauveur, épargne-nous, nous qui marchons vers ton feu. Donne-nous le courage de résister avec nos frères, bouclier contre bouclier. Nous avançons sous ta protection suprême, Seigneur de l’Éclair, notre Espoir et notre Protecteur.
    Quand l’hymne fut fini, ils la violèrent.
    Je ne compris d’abord pas leurs intentions. Je crus
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher