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Les murailles de feu

Les murailles de feu

Titel: Les murailles de feu
Autoren: Steven Pressfield
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devenus des hommes et les hommes, des enfants. Les esclaves sont libres et leurs maîtres réduits en esclavage. L’enfance a fui. Le chagrin et la peur que me valut la nouvelle du meurtre de ma mère et de mon père furent moindres que le sentiment impérieux que je devais sur-le-champ prendre leur place. Où avais-je donc été au matin de leur mort ? Parti dans ma course de gamin, je leur avais fait défaut. Pourquoi n’avais-je pas prévu le péril qui les menaçait ? Pourquoi n’avais-je pas été aux côtés de mon père, armé et fort comme un homme pour défendre notre foyer ou mourir honorablement, comme lui et ma mère l’avaient fait ?
    Des cadavres jonchent la route. Ce sont pour la plupart des hommes, mais on y compte aussi des femmes et des enfants, et c’est le même sang noir que boit la terre cruelle. Les vivants passent devant, brisés de chagrin. Tout le monde est sale, beaucoup de gens sont pieds nus. Tous s’enfuient loin des colonnes d’esclaves et pour échapper à l’appel général, qui est imminent. Les femmes portent des enfants, dont quelques-uns sont déjà morts, des ombres figées se meuvent, emportant quelque pitoyable trésor, une lampe, un volume de poésies. Quand la paix régnait, les femmes se paraient de colliers, d’anneaux aux chevilles, de bagues, mais ces bijoux ont disparu ou bien sont serrés loin des regards ; ils serviront à payer un passeur ou bien un pain moisi. L’on rencontre des connaissances qu’on ne reconnaît plus et qui ne vous reconnaissent pas non plus. Des réunions lugubres se tiennent le long des routes ou dans les taillis pour échanger des listes de morts ou de mourants.
    Le plus pénible, c’étaient les animaux. J’ai vu ce premier matin un chien en feu qui s’élança pour éteindre son poil brûlant dans mon manteau. Puis il s’enfuit et je ne pus le rattraper. Diomaque me tira en arrière, pestant contre mon imprudence. Ce n’était que le premier de plusieurs chiens. Des chevaux aux jarrets coupés gisaient sur le flanc, les yeux pleins d’épouvante. Des mules aux entrailles répandues, des bœufs transpercés de javelots, mugissant lamentablement, mais trop terrifiés pour laisser personne s’approcher d’eux. C’étaient les plus pitoyables ; les souffrances de ces pauvres animaux étaient encore plus dures à voir parce qu’ils ne les comprenaient pas.
    C’était la fête des corbeaux et des freux. Ils picoraient d’abord les yeux. Ils commencent, dieu sait pourquoi, par dévorer le cul des humains. Les gens chassaient d’abord avec indignation ces charognards impudents, mais ceux-ci ne reculaient que juste ce qu’il fallait, puis revenaient vers le banquet dès que le champ était libre. La piété voulait que nous enterrions nos concitoyens morts, mais la peur de la cavalerie nous chassait vers l’avant. Quelques corps furent poussés dans des fossés et des poignées miséricordieuses de terre furent jetées dessus, accompagnées d’une misérable prière. Mais les corbeaux, quand même, engraissèrent tant qu’ils ne pouvaient plus s’envoler.
    Nous n’entrâmes pas dans la ville, ni Diomaque ni moi. Nous avions été trahis de l’intérieur, m’expliqua-t-elle lentement comme on le fait avec les simples d’esprit, pour s’assurer qu’ils vous comprennent. Nous avions été vendus par certains de nos propres citoyens, des factieux avides de pouvoir, eux-mêmes dupés plus tard par les Argiens. Astakos était un port, sans doute modeste, mais néanmoins occidental, qu’Argos convoitait depuis longtemps. Maintenant, elle le possédait.
    Nous trouvâmes Bruxieus au matin du second jour. Sa marque d’esclave l’avait sauvé, de même que sa cécité, dont les conquérants se gaussaient même quand il les maudissait et qu’il les menaçait de son bâton. « Tu es libre, vieil homme ! Libre de mourir de faim ou d’implorer le joug des vainqueurs pour te nourrir. »
    Il plut ce soir-là. Il semble que la pluie soit toujours le codicille des massacres. Ce qui était cendres se changea en boue grisâtre et les cadavres dépouillés que n’avaient revendiqués ni les fils ni les mères étincelaient de leur blancheur livide, lavés par les dieux sans remords.
    Notre cité n’existait plus. Non seulement son site matériel, ses citoyens, ses murs, ses fermes avaient-ils disparu, mais encore l’esprit même de notre nation, la polis , cet idéal nommé Astakos, qui avait sans doute été plus petit
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