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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés
Autoren: Pierre Naudin
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crinière. L’or de leur pelage signifiait la foi, la force, la constance, et l’azur du fond de l’écu, la loyauté, la beauté, la pureté, la courtoisie et la renommée. Oui, il était fier de ces lions agressifs, lui, le jouvenceau affamé de prouesses. Il devinait qu’un jour il leur ferait honneur.
    — Je serai patient pour les éperons, dit-il, résigné. Quant à vous, Père, j’attendrai votre retour… impatiemment.
    Godefroy d’Argouges s’immobilisa un instant devant la porte ; son regard se perdit dans les ciselures du bois.
    — La patience est une vertu, mon gars, mais elle peut aussi devenir un vice.
    — Le sire de Marigny viendra-t-il avec vous ?
    — Tu sais fort bien qu’il laisse ses féaux en paix. Je lui ai baillé ma foi. Voilà quinze jours, il m’a dit qu’il me retrouverait… Je ne sais où !… C’est un preux chevalier. Je n’ai jamais eu regret de lui avoir prêté l’hommage lige [5] … Pourquoi me regardes-tu ainsi ?
    — Je me fais mal à l’idée que vous repartez en guerre.
    D’une façon confuse, et sans que son jugement fut la conséquence d’une admiration au demeurant fort légitime, Ogier savait qu’un chevalier tel que son père était un homme exceptionnel. Sa persévérance à se sacrifier sans répit ni calcul au duché de Normandie, sans pourtant rien négliger des affaires du royaume, participait du don de soi présent dans les tout premiers préceptes de l’ordre. Son âpreté à la bataille, sa douceur et sa clémence hors d’elle, constituaient, elles aussi, des éléments quasi tangibles de dignité chevaleresque. Sous les mouvements lents et souples de cet homme aux pensées toujours soigneusement distillées, sous cette chair atteinte par maints tranchants d’épée, de lance, et solide comme le granit, courait un sang impétueux.
    Godefroy d’Argouges contourna le coffre de chêne sur lequel son fils s’asseyait. Il s’approcha de la fenêtre. La pièce, étroite et austère, était située au sommet de la plus haute des quatre tours. De là, par ciel clair et lorsque l’hiver défeuillait les arbres, Ogier affirmait entrevoir la colline de Coutances. Une cathédrale l’exhaussait dont les flèches inachevées semblaient deux gros moignons de pierre. Godefroy d’Argouges aimait à s’y rendre à cheval, le dimanche, afin d’y entendre la messe. Chevauchant Clopinel, son palefroi, il précédait un vourste, ce char à bancs surtout conçu pour suivre les chasses. Son épouse et ses deux enfants y prenaient place ainsi que quelques-uns de leurs serviteurs.
    — Le service du roi m’éloigne fréquemment de Gratot, mais à chacune de mes visites, mon gars, je vois et devine quels ont été tes progrès. Crois-moi : je regrette qu’Yves de Montmartin soit mort deux semaines avant mon départ pour le Clos des Galées [6] . Je l’avais laissé sciemment près de toi en dépit de son désir de me suivre. C’était un bon écuyer. Mais ce fou a voulu se tremper dans la mer un jour de gros temps.
    — Dieu ait son âme !… Je n’ai rien oublié de ses enseignements sans pour autant faire fi de vos conseils.
    — Tu m’es cher.
    Cet aveu proféré sèchement, comme à regret, le baron reporta son attention sur la plaine, par-delà les ramures envahies d’oiseaux dont l’aubade, un moment, s’apaisa.
    — Les beaux champs et les beaux arbres !… Il nous faut savoir les préserver !
    Ogier se leva. Bien qu’il eût été réveillé en sursaut, il était quiet, attentif.
    Le regard ténébreux et songeur dirigé à nouveau sur sa personne aggravait son expectative.
    — Se peut-il, Père, que notre duché se trouve un jour en perdition comme ces pays d’où vous venez ?
    Le guerrier tapota la prise de son épée. Une soudaine crispation de la lèvre inférieure accrut encore, Ogier y fut sensible, la rage et l’incertitude dont sa réponse était chargée :
    — Qui sait ? Édouard III a de bons capitaines. Les Anglais et les Flamands nous tiennent en échec en Flandre et en Hainaut… Les Goddons passent par un havre que je connais assez bien : l’Écluse. Ils y déchargent des hommes et des laines… Notre roi devrait se garder de la navie [7] anglaise. Je l’en ai prévenu… En vain… Il se prend pour Alexandre et Neptune !
    L’intégrité de Godefroy d’Argouges à l’égard de la Couronne de France ne cessait, pour Ogier, d’être un sujet de méditation. Fervent substitut de son père,
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