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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés
Autoren: Pierre Naudin
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Philippe VI, le duc Jean s’employait à régner sur l’antique pays de Sapience comme s’il en avait accompli la conquête. Lorsqu’il avait appris, au commencement de l’année 1338, que le roi s’apprêtait à lever sur les Normands des impositions extraordinaires, le seigneur de Gratot avait décidé de se rendre à Paris afin d’exprimer à son suzerain ses doléances grandissantes assorties de l’espoir que jamais un roi de France ne toucherait à la Charte aux Normands [8] . L’avant-veille de son départ, en découvrant parmi ses pairs assemblés à Saint-Lô des barons disposés à servir l’Angleterre, il avait renoncé à son dessein. Il pouvait se courroucer contre Philippe VI, il ne se sentait point enclin à le trahir. Sans doute était-ce à compter de ce jour-là qu’il avait brisé une accointance pourtant solide avec son puissant voisin, Godefroy d’Harcourt, lequel s’imaginait parfois en duc de Normandie. Pour tenter de contrarier les décisions royales, Argouges avait placé tous ses espoirs dans la réunion des États Généraux de Pont-Audemer. Las ! Il avait vu les représentants du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie, sur lesquels il avait fondé ses espérances, devenir soudain veules, résignés, prêts à subvenir aux besoins effrénés des Valois.
    À trop vilipender l’injustice et les exactions des collecteurs en des campagnes ou des fiefs sans protection, Argouges s’était fait des ennemis dans l’entourage d’un monarque dont le règne s’annonçait fluctuant, prodigue et frivole. Toutefois, c’était moins pour affaiblir leur malveillance à son égard que pour obtenir du roi des gages de gratitude dont pourraient bénéficier les Normands qu’il avait tenté, auprès du souverain, une démarche audacieuse : le 23 mars 1339, à Vincennes, assuré d’exprimer la grogne des députés du duché tous présents, le seigneur de Gratot avait demandé à Philippe VI de respecter la Charte aux Normands. « Contre quoi ? » s’était inquiété le roi. La réponse était venue, prompte, ferme, loyale : les guerriers de Normandie, consultés, se déclaraient prêts à envahir l’Angleterre comme Guillaume, trois siècles plus tôt. S’ils réussissaient dans leur entreprise, la couronne et le sceptre d’Édouard III appartiendraient au duc Jean, et après lui à ses héritiers, rois de France à perpétuité.
    — Tu vois, Ogier, l’an dernier, à Rouen [9] la Journée des Normands m’avait comblé d’espérance. Le roi, son fils Jean et nos prud’hommes semblaient en profitable concordance. Nous avions cru bien faire en proposant au roi de débarquer sur la Grande Ile. Ce gros rassemblement a précédé de quelques semaines – souviens-t’en – la Convention de Vincennes, le 23 mars… Le 25 avril, j’ai de bonnes raisons de m’en souvenir, les États du duché ratifiaient notre décision de passer en Angleterre… Il y avait de très nobles et valeureux signataires : Pierre Roger, l’évêque de Rouen dont certains disent qu’il aimerait coiffer la tiare [10] , Guillaume Bertrand, l’évêque de Bayeux, Jean de Hautfrine, l’évêque d’Avranches, le connétable Raoul d’Eu, Jean d’Harcourt…
    — Un pape normand, Père, serait peut-être un merveilleux allié.
    — Certes… Toujours est-il que notre dessein de conquête, dont Édouard III fut informé, a légitimé aux yeux des Goddons l’envahissement de la France.
    — Nous n’en sommes point là !
    — Si, mon fils. Des erreurs sanglantes ont été commises et nous les allons payer !… L’exil [11] de Portsmouth… C’est en battant pavillon anglais que nos nefs sont parvenues dans ce havre… Viols, flammes, meurtres de gens désarmés. Quel est le responsable ? Hue Kieret… Il a récidivé à Hantonne… Puis à Hastings, Thanet, Douvres, Folkestone qui ne sont que des villages ayant un pied dans la mer, si j’ose dire… Il a ramené ses « prises » à Calais : des malheureux Goddons auxquels il avait fait couper le nez et les oreilles… Nous vivions jusqu’ici dans l’animadversion : Kieret a semé la haine… Vois-tu, je me demande pourquoi je suis allé à Vincennes.
    « C’est vrai, songea Ogier, Père aurait pu se dispenser de ce voyage. Consacrer son savoir et ses forces à Gratot qui se remettait enfin de ses tourments tout comme un malade au sortir de son lit [12] . »
    Le jouvenceau s’enhardit :
    — Allez-vous affronter les
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