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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés
Autoren: Pierre Naudin
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Goddons ?
    Godefroy d’Argouges, occupé à regarder par la fenêtre, se retourna. Des rides fissuraient son front. Il passa ses mains sur sa cotte afin de les essuyer : elles devaient suer sous les mailles comme le corps entier sous les anneaux de fer.
    — En vérité, mon gars, la guerre prend tournure. Nous voici presque au milieu de l’an 1340 et il se peut que nous regrettions de nous être mis trop tard à l’ouvrage. Si le jour où je le lui ai demandé, Philippe n’avait pas craint de placer nos hommes sous le commandement du duc Jean, nous aurions renouvelé l’appertise [13] du Conquérant. Nous serions maintenant maîtres de la Grande Ile. Édouard, ce fils de sodomite et de putain, pourrirait en quelque geôle du Petit-Châtelet ou du Château-Gaillard.
    D’ordinaire, Godefroy d’Argouges mesurait ses propos. Il fallait qu’il fût étreint par un émoi peu commun pour s’exprimer sans ambages.
    — Que redoutait notre roi ?
    — Que Jean trouvât la mort en bataille rangée.
    Un coq chanta. Un autre, lointain, lui répondit.
     
    — Le temps passe, mon gars. Voilà le déjuc [14] … Oui, le duc de Normandie aurait été moult protégé. Nous devions fournir quatre mille hommes d’armes et vingt mille piétons… Sous ses airs effrontés, le fils du roi et de la Boiteuse est une espèce de couard. Oh ! Certes, il peut devenir bataillard, mais j’en doute… Peut-être le sera-t-il lorsque sa vie atteindra son terme et qu’il voudra l’achever bellement… Il a dit à Blainville, qui s’est empressé de me le rapporter, que j’avais eu l’idée de cette invasion de l’Angleterre pour grossir mon seul mérite.
    — Je déteste Richard de Blainville.
    — Il me répugne aussi. Puis-je connaître tes raisons ?
    Un instant, dans sa mémoire, Ogier portraitura ce baron dont certaines terres jouxtaient celles de sa famille. Des cheveux noirs ; un visage rougeaud, large et bas, aux pommettes saillantes. Des yeux gris profondément enfoncés sous le bourrelet touffu des sourcils, et des lèvres courtes, surplombées d’une broussaille brune – elles souriaient avec une sorte de mélancolie hargneuse.
    — Non seulement Blainville est laid, mais bien qu’ayant votre âge, il est venu, en votre absence, demander la main d’Aude à Mère… Je me suis abstenu d’en parler parce que je n’ai rien à dire en ce qui concerne ma sœur, mais…
    — Je sais, je sais !… Luciane a éconduit Blainville qu’Aude méprise autant que toi.
    — Vous ont-elles dit qu’il est parti fort courroucé, en jurant de se venger ?
    Godefroy d’Argouges se remit à marcher :
    — Je sais… Je l’ai vu dimanche dernier, au Clos des Galées où j’ai fait halte avant de venir ici. Rassure-toi, je lui ai dit qu’Aude ne sera jamais sienne… Elle a quatorze ans !… Il l’oubliera… On raconte que le roi, la Boiteuse et le duc ont pour ce malfaisant des égards sans pareils.
    — Il doit vous détester, désormais.
    — Il m’en veut. Si cela peut t’égayer, sache qu’il sera bientôt contraint de renoncer aux éloges et faveurs dont il jouit à la Cour. Bon gré mal gré, il va devoir troquer le velours et la soie contre de lourds habits de fer… Comme moi, il doit embarquer.
    — Vous allez donc envahir l’Angleterre ?
    — Voire, Ogier. Il y a un an, et même deux, l’effet de surprise aurait permis, aidé notre débarquement. Maintenant, Édouard connaît nos desseins. Il a pris des précautions… C’est pourquoi il est à craindre que ce retard n’ait compromis notre entreprise.
    — Ce n’est pas vous qui l’avez différée, mais le roi.
    — Deux ans de perdus ! soupira Godefroy d’Argouges. Jamais nos havres n’auront été aussi actifs qu’en ce temps-là. Nous avons remis en état vingt vaisseaux existants et nous en avons construit quatre-vingts… Par Dieu, les charpentiers de marine auront eu de la besogne !… Et les armuriers !… Quant aux gens d’armes, nos Normands loyaux et hardis, j’avais placé en eux toutes mes espérances.
    Le chevalier s’était animé. Non seulement sa voix redevenait claire, chaleureuse, mais son personnage avait recouvré quelque chose qui le rajeunissait. Une toux brève, rugueuse, le secoua, puis il dit :
    — J’étais sûr qu’avec ces hommes de notre terroir, nous pouvions gagner toutes les batailles, mais Philippe a renoncé. Il atermoie toujours : c’est dans sa nature.
    — Maintenant, Père, il
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