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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés
Autoren: Pierre Naudin
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I
    Il marchait lentement, à grandes enjambées rudes soulignées par les tintements de ses éperons d’or. Il allait de la fenêtre en arceau à la porte de chêne entreclose et, quand il advenait qu’il suspendît son pas, il soupirait amplement tout en heurtant ses poings emmaillotés de fer.
    — Parlez-moi, Père, je vous prie. Êtes-vous courroucé contre moi ?
    — Comment pourrais-je l’être, mon fils ? Je me reconnais en toi tout autant que mon père se reconnaissait en moi.
    Immobile et transi au chevet de son lit, attentif au va-et-vient de ce guerrier taciturne, le jouvenceau luttait contre l’obscur mésaise, mêlé d’ennui, qu’il avait éprouvé lorsque ces grosses mains couvertes d’anneaux doux et frais l’avaient arraché au sommeil.
    — Je ne sais plus que dire, fit-il en nouant le cordon de son col de chemise.
    — Mais ne dis rien, Ogier. C’est à moi de parler et j’hésite à le faire.
    — Si vous devez m’admonester, mieux vaut que ce soit maintenant. Votre venue m’a comblé de joie, votre départ m’afflige.
    L’agitation de ce père si maître de soi d’ordinaire décontenançait l’enfant. Son séjour au château avait été tellement bref qu’il n’avait disposé d’aucun loisir pendant lequel il eût pu commettre une faute, une méprise dont il dût se repentir. D’ailleurs, jamais autant qu’en ces deux courtes journées, Godefroy d’Argouges n’avait montré plus d’intérêt pour les exercices auxquels lui, Ogier, s’était livré soit à pied, soit cheval en redoutant d’être désapprouvé par cet homme vénéré.
    — Vous m’avez couvert d’assentiments, Père, pour mes propos, ma conduite, mes desseins.
    — C’est vrai… Il m’est cruel parfois de te savoir si loin.
    Pourquoi, après tant de sourires bienveillants et de bourrades affectueuses, Godefroy d’Argouges était-il là, morose, impatient, aux premiers flamboiements de l’aube ? Pourquoi se taisait-il une fois de plus ?
    — Avez-vous quelque souci à me confier dont il vous déplaisait de m’entretenir devant Mère ?
    — Non.
    — Devant Aude ?
    — Ce n’est pas ce que tu crois.
    — Hier, au souper, vous nous avez annoncé vos adieux pour le milieu du jour. Or, vous voilà prêt : couvert de mailles jusqu’au bout des doigts, le heaume lié à la ceinture ; Almire, votre épée, suspendue à son renge [1] .
    Le prud’homme fit face à son fils dont la confusion s’aggrava. Pour essayer d’y mettre un terme, Ogier s’enhardit :
    — Je voudrais partir avec vous… Père !… Acceptez ! Je veux me battre à vos côtés et recevoir de vos mains les éperons d’or… J’en ai l’âge, il me semble.
    Sans chercher à retenir un sourire où se mêlaient inégalement l’indulgence et la tendresse, Godefroy d’Argouges considéra son fils. L’éclatante lueur du soleil levant avivait sa blondeur et donnait à l’expression de son visage une volonté, une maturité hors du commun. Il était grand, et fier de ses larges épaules et de ses bras musclés.
    — Tu auras treize ans le 22 août, mon gars, si ma mémoire est bonne.
    Il y eut dans les yeux du chevalier quelque chose qui, Ogier le devina, s’en allait au-delà de la contemplation, et ce fut d’un ton presque froid et railleur qu’il ajouta en se remettant à marcher :
    — Quant aux éperons, je comprends ton désir de les obtenir. Mais tu es trop jeune encore pour entrer dans la chevalerie !
    — Pourtant, Yves de Montmartin m’a dit un jour que vous avez été adoubé [2] à cet âge.
    — Fausseté. J’ai reçu la colée [3] à quinze ans.
    Godefroy d’Argouges était maintenant un quadragénaire trapu, aux cheveux couleur de cuivre. Il avait une tête ronde, des yeux noirs, un nez petit davantage criblé de son que ses joues glabres, une bouche lippue de gros mangeur sous une épaisse moustache. Un haubert de fines mailles treslies lui tombait aux genoux, dissimulé en partie par une cotte de lin bleu sur laquelle se froissait le blason des Argouges : d ’azur à deux lions d’or affrontés, armés de même.
    Bien qu’il se souciât peu d’héraldique, Ogier savait ce que les armes de sa famille représentaient. Symbole de vaillance, le lion figurait par deux fois aux armoiries du château de Gratot [4] . Ces fauves étaient dressés gueule à gueule, sur leurs pattes de derrière, toutes griffes dehors, et leur queue en panache était presque aussi velue que leur
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