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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters
Autoren: Patrick deWitt
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la soumets aujourd’hui, pour voir si vous saurez y répondre. Qu’est-ce qui fait d’un homme un grand homme   ? Certains diront la richesse. D’autres, la force de caractère. Certains encore prétendront qu’un grand homme ne perd jamais son sang-froid. D’autres avanceront que c’est un homme qui met toute sa ferveur en Dieu. Mais je suis ici, devant vous, pour vous dire exactement ce qui fait un grand homme, et j’espère que vous m’écouterez attentivement, que vous ferez vôtres mes paroles, et que vous comprendrez au plus profond de vous ce que je vais vous révéler. Car, oui   ! Je souhaite vous faire don de la grandeur.   » Il hocha la tête et leva une main, comme s’il recueillait des applaudissements. Je fis un pas vers lui et levai ma lame devant son visage. Je savais que je devais le tuer tant que je pouvais encore le faire, mais je voulais entendre ce qu’il allait dire. Il baissa sa main et tira longuement sur son cigare. La cendre tomba dans le bain en grésillant   ; il frappa l’eau du bout des doigts, là où il pensait qu’elle avait atterri. «   Merci, dit-il. Merci, merci.   » Il marqua une pause, et inspira profondément. Puis il reprit son discours avec emphase, et en parlant plus fort   : «   Le grand homme, c’est celui qui sait repérer un vide dans le monde matériel, et le combler avec l’
essence de lui-même
  ! Le grand homme, c’est celui qui sait attirer la chance en un lieu qui en était dépourvu auparavant, par la
seule force de sa volonté
  ! Le grand homme, enfin, c’est celui qui sait faire
quelque chose
en partant de
rien
. Or, le monde qui nous entoure, chers messieurs ici réunis, croyez-moi sur parole, le monde n’est rien   !   »
    D’un seul mouvement, j’étais sur lui. Je lâchai ma lame et poussai sur ses épaules pour enfoncer sa tête sous la surface de l’eau. Il se mit à gesticuler dans tous les sens   ; il toussa, s’étouffa et fit un bruit qui ressemblait à «   Esch, esch, esch   !   » qui résonna dans la baignoire et me parcourut tout le corps. L’instinct de vie du Commodore s’était réveillé et il se débattit avec encore plus de véhémence. Mais je l’écrasais de tout mon poids et il ne pouvait plus bouger. Je me sentais très fort, légitime et rien au monde n’aurait pu m’empêcher de finir le travail.
    Son gant de toilette était tombé de son visage   ; il me regardait à travers l’eau, et bien que je n’en eusse pas envie, je me dis que je me devais de le regarder dans les yeux, ce que je fis. Je fus surpris de ce que je vis, car seule la peur l’habitait, comme tous les autres qui étaient morts avant lui. Il me reconnut. J’aurais sans doute voulu qu’il regrette de ne pas m’avoir témoigné plus de respect, mais le temps manquait. Pour le dire simplement, je pense qu’il est possible qu’une explosion de couleurs ait envahi son esprit, suivi d’un vide infini, telle la nuit ou toutes les nuits en une seule.
    Le Commodore trépassa. Ensuite, je remontai légèrement son corps dans la baignoire, de sorte que seule sa tête restât à moitié immergée, pour faire croire à une noyade provoquée par l’ivresse. Ses cheveux étaient collés sur son front et son cigare flottait près de son visage. Sa fin n’avait rien de digne. Je sortis par la porte de devant et regagnai notre cabane. Je trouvai Charlie endormi, et nullement disposé à voyager. Malgré ses protestations, je le levai, l’attachai sur Nimble et nous chevauchâmes en direction de la maison de notre Mère.



 
    L’aube était argentée, et les hautes herbes ployaient sous le poids de la rosée. Charlie avait fini sa morphine, et ronflait sur le dos de Nimble tandis que nous remontions le chemin qui menait chez notre mère. Je n’avais pas vu la maison depuis des années, et me demandai si elle allait être en ruines et ce que j’allais faire si Mère n’était pas là. Lorsque la maison apparut, je m’aperçus qu’elle venait d’être repeinte, et qu’une pièce avait été ajoutée à l’arrière   ; il y avait également un potager bien entretenu et
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