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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters
Autoren: Patrick deWitt
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m’en souviens.
    â€” Peux-tu s’il te plaît me dire si je le suis toujours   ?   »
    Elle me regarda, et je savais qu’elle connaissait la réponse, mais qu’elle n’allait pas parler.
    Â«   À quel point suis-je protégé   ? insistai-je. Est-ce que ce sera toujours le cas   ?   »
    Elle ouvrit la bouche et la referma. Elle secoua la tête. «   Je ne vous le dirai pas.   » Le bas de sa robe tournoya autour d’elle telle une roue alors qu’elle faisait demi-tour, puis elle s’éloigna. Je cherchai un caillou à lui lancer, mais je n’en trouvai aucun à portée de main. Charlie regardait toujours la cruche, dans la boue. «   J’ai terriblement soif, dit-il.
    â€” Elle voulait te tuer, lui dis-je.
    â€” Quoi, elle   ?
    â€” Je l’ai vue empoisonner un chien.
    â€” Cette jolie petite. Pourquoi diantre ferait-elle une chose pareille   ?
    â€” Par pure méchanceté, je crois.   »
    Charlie scruta le ciel, qui s’empourprait. Il laissa tomber sa tête à la renverse, ferma les yeux et dit, «   Et qu’est-ce qui nous attend maintenant   ?   » Puis il rit. Une minute ou deux ne s’étaient pas écoulées qu’il dormait.
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    FIN DE L’INTERMÈDE

 
    Un docteur amputa la main de Charlie à Jacksonville. Entre-temps, la douleur s’était atténuée, mais sa chair avait commencé à se gangréner, et il n’y avait d’autre recours que de l’enlever. Le docteur, du nom de Crane, était un homme âgé, quoique calme et agile. Il portait une rose à la boutonnière, et il me parut d’emblée être un homme de principe. C’est ainsi que lorsque je lui fis part de nos difficultés financières, il balaya ma remarque d’un geste, comme si cette question d’argent lui importait peu. Lorsque Charlie sortit une bouteille d’eau-de-vie en disant qu’il voulait se griser avant l’opération, le docteur s’y opposa, expliquant que l’alcool provoquerait des saignements excessifs. Mais Charlie rétorqua qu’il s’en moquait, qu’il agirait à sa guise et que rien au monde ne pourrait le dissuader de faire ce dont il avait envie. Finalement je pris Crane à part et lui suggérai de donner à Charlie l’anesthésiant sans lui dire ce que c’était. Il comprit mon subterfuge, et après avoir endormi mon frère, tout se déroula aussi bien que possible. Crane opéra à la lueur des bougies, dans son propre salon.
    La gangrène s’était propagée au-delà du poignet, et Crane dut couper au milieu de l’avant-bras avec une scie à grandes dents spécialement fabriquée, précisa-t-il, pour trancher les os. Lorsqu’il eut terminé, son front luisait de transpiration, et il se brûla par mégarde à la lame, qui avait chauffé. Il avait pris soin d’installer un seau pour que la main et le poignet y tombent, mais ils atterrirent par terre, car il l’avait mal positionné. Il ne prit pas la peine de s’interrompre pour ramasser, tant il était affairé à s’occuper de ce qui restait de Charlie, et je traversai la pièce pour le faire moi-même. C’était étonnamment léger   ; le sang coulait de la main, que j’attrapai par le poignet et soulevai au-dessus du seau. Je n’aurais jamais touché ainsi le bras de Charlie s’il avait été attaché au reste de son corps, et j’en rougis, tant la sensation me fut étrange. Je passai mon pouce sur les poils noirs et rugueux. Je me sentis à ce moment très proche de mon frère. Je déposai la main debout dans le seau, que je portai hors de la chambre, car je ne voulais pas qu’il le voie à son réveil. Après l’intervention, alors que Charlie était allongé sur un grand lit de camp au milieu du salon, bandé et drogué, Crane m’encouragea à aller prendre l’air, en m’expliquant qu’il faudrait encore plusieurs heures avant que Charlie reprenne conscience. Je le remerciai et partis. Je marchai jusqu’aux limites de la ville, pour me rendre au restaurant dans lequel j’étais allé lors de mon dernier passage. Je m’installai à la même table et fus servi par le même
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