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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters
Autoren: Patrick deWitt
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garçon, qui me reconnut et me demanda sur un ton ironique si je revenais pour un plat de carottes et de fanes. Mais après avoir assisté à l’opération, et le pantalon encore maculé des taches du sang de mon frère, je n’avais pas faim le moins du monde, et lui demandai juste un verre de bière. «   Vous ne mangez plus du tout   ?   » dit-il en gloussant dans sa moustache. Son outrecuidance m’offensa, et je lui dis, «   Je m’appelle Eli Sisters, fils de putain, et je vais te fumer sur-le-champ si tu ne te dépêches pas un peu de m’apporter ce que je viens de te demander.   » Le garçon cessa immédiatement de me regarder avec effronterie et afficha dès lors à mon endroit un respect précautionneux   ; sa main tremblait, même, lorsqu’il posa devant moi mon verre de bière. Cela ne me ressemblait pas du tout, de m’en prendre à quelqu’un de façon aussi vulgaire   ; et plus tard, en sortant du restaurant, je songeai qu’il fallait que je réapprenne le calme et la paix. Je me dis, Je vais me reposer pendant une année entière. Telle était ma décision, et je suis très heureux de pouvoir dire que je l’ai mise en œuvre, et que je me suis délecté de ces douze mois passés à me reposer, à réfléchir et à retrouver tranquillité et sérénité. Mais avant que cette vie de rêve ne devienne réalité, je savais que j’avais encore une affaire à régler, et tout seul.

 
    Il était dix heures du soir lorsque nous arrivâmes enfin à notre cabane, à l’extérieur d’Oregon City. Je trouvai la porte défoncée. Nos meubles étaient sens dessus dessous, ou fracassés   ; j’allai dans la pièce du fond et ne fus pas surpris de découvrir que l’argent caché derrière le miroir avait disparu. Nous avions dissimulé pour plus de deux mille deux cents dollars dans le mur, mais il ne restait plus rien à présent, si ce n’est une feuille de papier, que je pris, et sur laquelle je lus   :
    Â 
    Cher Charlie,
    Je suis un salaud. J’ai pris tous tes $. Je suis ivre mais je ne crois pas que je te les rendrai quand j’aurai dessaoulé. J’ai également pris les $ de ton frère, et je suis désolé, Eli, je t’ai toujours aimé, sauf quand tu me regardais de travers. Je vais partir loin avec ces $. Vous pourrez toujours essayer de me retrouver, bonne chance. De toute façon, vous en gagnerez beaucoup d’autres, vous avez toujours su gagner de l’argent. Je sais que c’est une drôle de façon de dire au revoir, mais j’ai toujours été comme ça, et je ne m’en voudrai même pas, après. Quelque chose ne tourne pas rond en moi. Je ne sais si c’est dans mon sang ou dans ma tête, mais en tout cas, dans ce qui me permet de prendre des décisions.
    Rex
    Â 
    Je pliai le mot et le replaçai dans le renfoncement. Le miroir était brisé sur le sol, et je poussai les éclats du bout de ma botte. Je ne pensais à rien   ; j’attendais qu’une idée ou un sentiment me viennent. Mais rien ne se produisit, et je sortis pour aider Charlie à descendre de Nimble. Crane lui avait donné un flacon de morphine, et il était resté en état de léthargie pendant presque tout le voyage. J’avais même dû l’attacher à Nimble à plusieurs reprises, et le tirer au bout d’une corde derrière moi. Il s’était réveillé brutalement à plusieurs reprises en se rendant compte que sa main n’était plus attachée à son bras. C’était quelque chose qu’il oubliait constamment   ; lorsqu’il s’en souvenait, il sombrait dans les affres du désespoir.
    Je l’accompagnai dans sa chambre et il s’allongea tant bien que mal sur son matelas saccagé. Avant qu’il ne s’endorme, je lui dis que je sortais, et il ne me demanda même pas où j’allais. Il fit claquer sa langue et leva son moignon bandé pour me saluer. Je le laissai à son sommeil narcotique, et restai un moment à l’entrée de notre maison pour faire l’inventaire de nos maigres possessions. Je n’avais jamais tellement aimé l’endroit. Tandis que je parcourais du regard les couchages tachés de vin et les
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