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Les disparus

Titel: Les disparus
Autoren: Daniel Mendelsohn
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jamais vus, et précisément parce que je ne les avais jamais connus
ou vus, j'étais contraint de penser à quel point ils avaient été des personnes
spécifiques avec des morts spécifiques, et que ces vies et ces morts leur appartenaient,
à eux et pas à moi, indépendamment de l'attrait que pourrait avoir l'histoire
racontée à leur sujet. Il y a tant qui restera à jamais impossible à
connaître, mais nous savons qu'ils ont été, un jour, eux-mêmes, spécifiques, les sujets de leur propre vie et de leur propre mort, et pas simplement des
marionnettes manipulées pour les besoins d'une bonne histoire, pour des
mémoires, pour les films ou les romans du réalisme magique. Le temps viendra
pour ça, une fois que chaque personne qui a connu chaque personne qui les a
connus et moi serons morts ; puisque, comme nous le savons, tout, à la fin,
disparaît.
    Donc, en quelque sorte, au moment même où je les trouvais de
la façon la plus spécifique qui soit, je sentais qu'il me fallait les
abandonner de nouveau, les laisser être eux-mêmes, quoi que cela puisse être.
C'était amer et c'était doux ; et en effet, lorsque je devais décrire par la
suite ce moment à Jack Greene, à qui je devais tout, il m'a déclaré, en faisant
allusion à sa propre émotion au moment où il est sorti de sa cachette, tant
d'années auparavant, Oui, je connais cette impression, c'est un sentiment d’accomplissement, mais on ne se sent pas heureux. J'avais voyagé loin, fait le tour de
la planète et étudié ma Torah, et à la toute fin de ma quête, je me retrouvais
à l'endroit où tout commence : l'arbre dans le jardin, l'arbre de la
connaissance qui, comme je le savais depuis longtemps, est quelque chose de
divisé, quelque chose qui apporte à la fois du plaisir et, du fait que la
croissance n'est possible que dans le temps, du chagrin.
    Je suppose que j'essayais de saisir des choses concrètes,
ces éléments spécifiques, lorsque, sous l'impulsion d'un instinct que je ne
parviens pas encore à identifier aujourd'hui, je me suis penché et j'ai plongé
les mains dans la terre, au pied de l'arbre, et que j'en ai rempli mes poches.
Puis – comme le veut la tradition d'une tribu à laquelle, même si certains
éléments de cette tradition n'ont aucun sens pour moi, je sais appartenir parce
que mon grand-père y a appartenu autrefois – j'ai cherché sur le sol une
grosse pierre et, une fois trouvée, je l'ai placée dans le creux où les
branches de l'arbre se rejoignaient. C'est leur seul monument, ai-je pensé, et
je vais donc laisser la pierre ici. Puis je me suis tourné et je suis sorti du
jardin, et très vite nous avons dit au revoir, sommes remontés dans la voiture
et sommes partis.
    C'est pendant que nous roulions que j'ai fait la dernière de
mes nombreuses erreurs. Je m'étais promis de faire, cette fois, quand nous
quitterions Bolekhiv, quelque chose que j'avais eu l'intention de faire, des
années plus tôt, lors de notre premier séjour dans cette ville, parce que je
pensais, à l'époque, que ce serait aussi le dernier dans cet endroit, dans cette
petite ville, dans ce shtetl animé, dans ce lieu heureux, dans
cet endroit qui avait été et ne serait plus jamais : je m'étais promis
que, lorsque nous quitterions la ville en remontant la petite colline en
direction de L'viv, je me retournerais, comme je savais que mon grand-père
l'avait fait un jour d'octobre, quatre-vingts ans plus tôt, je me retournerais
pour l'unique raison qui fait que nous nous retournons vers ce qui est derrière
nous, c'est-à-dire pour faire un vœu impossible, un vœu selon lequel rien ne
restera derrière nous, le vœu qui portera la marque de ce qui est terminé et
achevé dans le présent et le futur. Je m'étais dit que je regarderais par la
lunette arrière la petite ville s'éloigner, parce que je voulais être capable
de me souvenir non seulement de ce à quoi ressemblait l'endroit quand on y
arrivait, mais aussi de ce à quoi il ressemblait quand on en partait pour
toujours.
    Mais alors qu'Alex manœuvrait la Passat bleue dans les
petites rues tordues qui, dans une autre ère, avaient valu aux habitants de
l'endroit, dont très peu survivent aujourd'hui, dont aucun ne survivra lorsque
j'aurai atteint l'âge de Jack Greene, le surnom que personne ne connaît plus et
dont personne ne se soucie plus : les rampeurs de Bolechow ! – alors qu'Alex naviguait dans ces petites rues sinueuses, nous nous
sommes mis à parler
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