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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres
Autoren: Lucien Rebatet
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décisif, pour arrêter le coup de théâtre. Vivions-nous une accalmie, rien n’était peut-être plus alarmant. C’était le signe que les maîtres occultes avaient étouffé les colères, égaré l’opinion dans le dédale des palabres vaseuses à dessein. Dans les journaux ou les discours, le vague du style démocratique qui m’avait toujours tellement répugné était en somme une habileté supérieure, comme l’imprécision des mythes religieux. Nous ne manquerions pas d’en récolter les beaux résultats, avec une démagogie hypocrite, de plus en plus étouffante, avec la guerre que nous aurions cent fois pu éviter.
    Parce que c’était désormais son unique raison d’exister, l ’Action Française comptait encore sur la force d’expansion de ses idées, comme sur une loi nécessaire de physique. En principe, elle n’avait pas tort. Mais quelles étaient ses idées ? Derrière le paravent du royalisme, derrière l’échafaudage de traités, de thèses, de compilations, d’historiques, de polémiques et de philosophies dressé en l’honneur d’un mythe de monarchie, on découvrait le néant : pas un embryon d’espoir, de manœuvre, pas même l’ombre d’un but.
    [Mon siège était fait. J’étais convaincu qu’au point où nous nous trouvions, une seule forme de politique eût été capable de nous tirer d’affaire : enrôler deux cent mille gaillards, chômeurs, communistes, gamins casse-cou, leur coller un uniforme, des caporaux, des pistolets-mitrailleurs, avoir l’appui d’un certain nombre d’officiers, fusiller quelques milliers de Juifs et de maçons, en déporter autant. À quinze ans, je préconisai, l’exécution sommaire comme seul moyen de purger le monde des plus grosses insanités et des pires bandits. Je revenais très sérieusement à ce système. Pour une besogne de cet ordre, j’aurais encore marché. Quant à aller me faire casser la gueule, la canne à la main, par des pelotons de gardes mobiles hérissés de mitrailleuses, pour être statufié ensuite par Maxime Real del Sarte, servir de thème pieux à Léon Bailby, cependant qu’au bout de trois semaines, vénérables et princes du Royal Secret auraient repris doucement leur place, il me suffisait d’avoir entrevu une fois ce glorieux destin.] L’exaltation publicitaire, avec goupillons et couronnes tricolores, des vingt-trois malheureux trépassés le 6 février pour un aussi brillant résultat, me portait sur les nerfs au plus haut degré. Les chefs nationaux, Maurras en tête, qui les avaient lancés sous les balles, étaient, tout autant que Daladier, éclaboussés de leur sang.
    Il eût fallu dans le pays une faction résolue à violer les règles du jeu parlementaire, journalistique, policier et républicain. À moins d’énormes imprévus, je n’espérais plus que cette faction pût se constituer avant les événements extérieurs qui, eux, se produiraient tôt ou tard.
    C’était le moment où Hitler rétablissait cavalièrement le service obligatoire. Je supportais de moins en moins les gobe-mouches, les braves croyants du nationalisme maurrassien, qui s’accrochaient encore à l’irrésistible vertu des principes. Je me soulageais volontiers en leur tenant des propos accablants et traduisant du reste exactement ce que je pensais : « Nous avons raté le coche en février 34. Maintenant, tout est cuit. Une pareille occasion s’offrirait-elle encore, il nous faudrait, nous autres nationaux, lui tourner le dos, parce que l’ambition allemande ne va plus arrêter de grandir et que ce sera devant elle l’union sacrée. Une jolie union sacrée ! Mais de gré ou de force, il faudra bien en passer par là ».
    L’avenir devait, hélas ! confirmer mon pessimisme. Mais je ne m’y serais jamais abandonné un instant si j’avais pu entrevoir les chances qui, contre tout espoir, allaient encore être données à mon pays.
    * * *
    L’événement capital de 1935, la campagne d’Abyssinie, au lieu de nous paralyser sur la frontière de l’Est, nous offrait encore un grand rôle européen et nous permettait d’envenimer chez nous les plus salutaires discordes.
    En refusant de suivre l’abject et imbécile système des sanctions voulues par l’Angleterre, nous renversions à notre profit la politique continentale, nous scellions avec l’Italie les liens les plus solennels. Nous ne nous aliénions pas pour autant la Grande-Bretagne, qui eût vite mis les pouces devant une entreprise
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