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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres
Autoren: Lucien Rebatet
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souhaitais violemment une catastrophe aussi complète qu’il se pût. Chaque dépêche comblait mes vœux. Les succès communistes, surtout, dépassaient du double les plus sombres pronostics. Il n’était plus question, cette fois, de dosages et de faux-fuyants. On ne pouvait rien imaginer de plus écrasant et de plus net. J’aspirais allègrement le fumet de révolution qui flottait dans l’air.
    * * *
    Une dizaine de jours plus tard, je rentrais d’un court voyage, qui avait suffi pour que je retrouvasse un Paris métamorphosé, encanaillé et morne à souhait. Une faune d’émeute, montée d’on ne savait où, tenait le pavé. Des voyous patibulaires, doublés de petites femelles pires encore, rançonnaient jusque sur les boulevards les passants au profit des joyeux grévistes installés dans les banlieues « sur le tas ». Pas d’autobus, pas de métro. Les mobiles montaient la garde devant les restaurants et les cafés fermés. Les trottoirs se couvraient d’immondices. Les revendications de quatre balayeurs suffisaient pour arrêter une usine de mille ouvriers. Cela commençait très bien, par un de ces accès de paralysie qui sont le plus magnifique symptôme d’une infection marxiste.
    Jules Renard, dont j’aime à croire qu’il n’eût jamais été un socialiste à la mode du Front Populaire, disait trente ans plus tôt aux Buttes-Chaumont : « Oui, le peuple. Mais il ne faudrait pas voir sa gueule. » Les dieux savent si on la voyait ! Ça défilait à tout bout de champ, pendant des dimanches entiers, sur le tracé rituel de la République à la Nation. Il y avait les gueules de la haine crapuleuse et crasseuse, surtout chez les garces en cheveux. Il y avait encore à profusion le prolétaire bien nourri, rouge, frais et dodu dans une chemisette de soie, un pantalon de flanelle, d’étincelants souliers jaunes, qui célébrait avec une vanité rigolarde l’ère des vacances à la plage, de la bagnole neuve, de la salle à manger en noyer Lévitan, de la langouste, du gigot et du triple apéritif. Le peuple, dans ces revues, était entrelardé de cohortes maçonniques, arborant d’incroyables barbes toulousaines, et des bannières, des ceintures, des scapulaires bleus et roses de congréganistes sur des ventres de Tartarins ; ou encore d’escouades d’intellectuels, les penseurs de mai 36, dont l’aspect me mettait un voile rouge devant les yeux, les vieux pions de Sorbonne, les suppôts à lorgnons et barbiches de toute la suffisance primaire, bras dessus bras dessous avec tel homme qui avait eu du talent et qu’on reconnaissait avec un étrange dégoût dans ces chienlits. N’y manquait jamais, avec sa figure dévorée de tics, le sieur André Malraux, espèce de sous-Barrès bolcheviste, rigoureusement illisible, et qui soulevait pourtant l’admiration à Saint-Germain-des-Prés, même chez les jeunes gogos de droite, grâce à un certain éréthisme du vocabulaire et une façon hermétique de raconter des faits divers chinois effilochés dans un bouillon d’adjectifs.
    La moitié de ce peuple français si fier de sa malice chantait sans sourciller :
    « La raison tonne en son cratère   ».
    On élevait à la hauteur d’un sacerdoce le métier de creuser des trous.
    * * *
    Ce que les dernières têtes raisonnables n’arrivaient pas à penser de sang-froid, c’était : la France, chef Léon Blum. Il ne se passait guère de jour sans que j’en ressentisse une insupportable humiliation. Il avait fallu cette honte et cette imbécillité judaïque pour secouer le pays. Soit. Mais cela n’avait déjà que trop duré.
    Le colonel de La Rocque {6} , cependant, inculquait à ses troupes les principes de la discipline militaire : interdiction de lever le petit doigt de la couture du pantalon avant l’heure H de l’assaut dont le chef seul déciderait, magnifique alibi pour masquer une inertie honteuse et peut-être complice, les talons en équerre, le béret à la diable bleu, le regard digne et résolu à quinze pas, mais sans bouger d’une ligne, ah ! surtout sans bouger. Les citoyens de la France moyenne adhéraient en foules toujours plus denses à ce programme si bien fait pour eux.
    Les nationaux à biceps qu’indignait ce remisage de la révolution, qui se répandaient en calembours sur Casimir de La Locque et les Froides-queues, montaient leur contre-attaque. Mais c’était la contre-attaque à la cocarde. La mienne, digne d’un sans-culotte, était large
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