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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres
Autoren: Lucien Rebatet
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perruche, pour lui faire à n’en plus finir l’honneur bien immérité de son esprit.
    Faute d’une parcelle de volonté pratique, Maurras freinait à grands coups l’élan de sa propre troupe. Il la freinait déjà depuis la nuit précédente. J’étais présent, cet après-midi-là, échiné, aphone, le crâne encore saignant d’un caillou reçu la veille sur la Concorde, indigné par cette reculade du maître qui osait affecter la présence d’esprit pour dissimuler un haïssable désarroi. Je me sentais encore trop timide pour braver le courroux de Maurras et surtout ses syllogismes. Mais je voulais quitter la maison sur l’heure et sans retour. On m’arrêta, on me parla d’obéissance. Je m’inclinai ; j’eus tort. Ce n’était point de la discipline, mais de la faiblesse. Je l’ai compris plus tard.
    Cinq cent mille Parisiens avaient tourbillonné comme des moucherons autour de la vieille ruine démocratique qu’une chiquenaude, c’est-à-dire la révolution de mille hommes vraiment conduite par dix autres hommes, eût suffi à jeter bas. Le radicalisme n’avait pas su davantage prendre prétexte de l’échauffourée pour se rajeunir et faire, à son compte, cette révolution de l’autorité que les trois quarts du pays appelaient, dont certains de ses affiliés, tel Eugène Frot, avaient caressé l’espoir, dans un chassé-croisé de complots d’opérette se recoupant comiquement avec ceux des « factieux » de droite. La capitale, pendant tout le jour qui suivit l’émeute, avait été à qui voudrait la prendre. Mais les vainqueurs malgré eux étaient restés interdits et inertes, comme des châtrés devant une Vénus offerte. La démocratie avait reconquis ses vieilles positions, compromises un instant, par les voies tortueuses qui lui étaient habituelles, en couvrant ses manœuvres avec des simulacres de justice et d’enquêtes. Elle entraînait sans la moindre peine, sur ce terrain bourbeux à souhait, les nationaux toujours aussi incorrigibles dans leur jobardise qu’au temps de Dreyfus, et tout de suite définitivement enlisés.
    Ainsi s’était évanouie, parmi les avocasseries de la droite et de la gauche, les procédures truquées et les crapuleries policières, une occasion inespérée pour notre pays de recouvrer sa santé et sa fortune au-dedans, son indépendance au-dehors.
    On avait pu reconnaître la fragilité de la carcasse parlementaire. Mais elle s’était révélée encore plus ferme que tous ses ennemis. Les Parisiens, des camelots du roi aux communistes, avaient prouvé qu’ils étaient encore capables d’un beau sursaut de colère et même de courage. Mais leur élan inutile était brisé pour longtemps.
    * * *
    En dépêchant ses divisions sur le Brenner, le Duce, l’été suivant, réparait la brèche ouverte par nous à Mayence. Il faisait clairement son choix contre le germanisme, pour la défense d’une ligne occidentale qui ne serait plus enfin de papier ou de vent. Il nous tendait une perche solide. Mais on pouvait déjà prédire sans grands risques que nous étions trop débiles pour la saisir, trop abrutis pour savoir joindre nos atouts à ceux de ce partenaire qui se proposait.
    Les sujets d’amertume ne manquaient pas pour un néophyte de mon genre. Pendant mes premières années de journalisme, j’avais écouté révérencieusement beaucoup de personnages considérés, spécialistes de l’économie politique et de la finance, familiers des chancelleries ou des couloirs parlementaires. Ils condescendaient à m’éduquer, en exposant de savantes certitudes, d’infaillibles calculs, de subtiles combinaisons et de précieuses confidences qui réduisaient mes humbles hypothèses à néant. L’événement les contredisait presque à coup sûr, ce qui ne m’empêchait pas de les retrouver bientôt aussi diserts et assurés. Je me décidais de plus en plus à envoyer par-dessus bord toute considération, à juger des choses par mes faibles moyens et à le dire haut et fort.
    Un an de politique dans des milieux effervescents me flanquait la courbature. Toutes les cartes étaient truquées. Dès lors, à quoi bon suivre le jeu ? L’assassinat de Prince, les scandales, les réformes, les manœuvres diplomatiques étaient autant de scénarios sans intérêt, puisque nous ne connaîtrions jamais le dénouement ou le mot de l’énigme. La maçonnerie, patiemment, sournoisement, embrouillait tous les fils, intervenait toujours au moment
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