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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres
Autoren: Lucien Rebatet
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créait la politique de notre siècle.
    C’était le temps où, dans une revue de M. Rip, l’excellent Dorville, une mèche collée au front, la moustache fameuse sous le nez, figurait l’apache Hitler brandissant un coutelas au fond d’un bouge. Mais la porte s’ouvrait sur le gardien de l’ordre, le sévère et majestueux flic du coin, qui s’était fort bien fait le masque du Duce.
    Il était entendu que le nazisme aux talons de fer, beaucoup trop systématique, n’avait aucune chance de pouvoir s’implanter chez nous. Mais nous ne doutions pas de nos affinités avec le fascisme romain, souple, « respectueux des libertés humaines », et catégorique sur l’essentiel : le contrôle du grand capitalisme, la suppression du régime électif, la prospérité du peuple, l’anéantissement des pouvoirs secrets. Le Duce faisait bonne et sommaire justice des fariboles de la paix indéfinie. Enfin, il avait sacrifié à temps les appendices pileux de sa jeunesse socialiste, son profil parlait des consuls et des Césars…
    Nous étions plusieurs, aux alentours del’ Action Française, parmi les plus jeunes et les plus libres, qui depuis quelques années nous disions volontiers fascistes. La monarchie, dont nous admirions les images et les vertus passées, appartenait depuis beau temps à la métaphysique. Mais Rome nous offrait son exemple. Maurras expliquait lui-même souvent la belle étymologie du « fascisme », de toutes les forces de la nation réunies. Nous n’ignorions pas que Mussolini, de son côté, saluait notre vieux maître comme un de ses précurseurs.
    Aux mécaniques genevoises des protêts, des pactes et d’une espèce de Dalloz international confectionné par des robins démocrates, nous opposions très sainement le retour aux alliances, seules humaines et pondérables. Nous voulions celle de l’Italie. La parenté des deux peuples, leur fraternité d’armes, leur communauté d’intérêt la rendaient aisée. Sans elle, nos obligés de l’Europe centrale et des Balkans ne nous servaient à rien. Avec elle, nous dressions une barrière continue contre l’Allemagne, de la mer du Nord à la Vistule.
    Un semblable dessein était étriqué ? Il avait du moins pour lui sa cohérence. Le rapport des forces sur le continent l’autorisait. Nous vitupérions les sectaires maçonniques, les mythomanes du pacifisme qui l’entravaient obstinément. Cela n’était pas mal vu. Mais personne, chez nous, ne semblait se rappeler qu’il existât une certaine Angleterre, maîtresse absolue de la Méditerranée, et que toute la politique de Versailles lui obéissait. Ce surprenant oubli donne à toutes les batailles et toutes les querelles françaises de cette aimable époque l’apparence d’une pantomime d’ombres chinoises.
    Si l’instauration d’un ordre latin avait été possible, toutes ses chances s’étaient bien trouvées réunies au cours de cette année 1934.
    Mais les nationaux français, dont la victoire représentait la première condition de cet ordre, avaient été surpris sans cadres, sans armes, sans même une esquisse de plan, par le scandale de février qui découvrait les plaies les plus sales d’un régime déjà moribond. Derrière l’immense vague de l’indignation populaire, il n’y avait que de louches et vaseux personnages, comme La Rocque, ou des écrivains, des théoriciens lucides mais trop vieux, qu’on eût désarmés parfaitement en leur ôtant leur encrier, prônant la supériorité de l’action en soi, mais incapables de lui assigner dans le concret le plus modeste objectif, de lui donner une ébauche de forme, écartant ombrageusement enfin les disciples ardents suspects de vouloir « agir » leurs idées. Leur mission naturelle eût été de canaliser et de conduire le flux de cette colère publique qu’ils avaient si bien excitée. Ils s’étaient vu emporter par elle ils ne savaient où.
    Le 7 février, dans l’après-midi, un fidèle del ’Action Française, Pierre Lecœur, entrait fort animé dans la grande salle de notre rédaction et allait droit à Maurras, qui était en train d’écouter trop galamment le caquetage d’une pécore du monde :
    « Maître, Paris est en fièvre. Il n’y a plus de gouvernement, tout le monde attend quelque chose. Que faisons-nous ? »
    Maurras se cambra, très froid et sec, et frappant du pied :
    « Je n’aime pas qu’on perde son sang-froid. »
    Puis, incontinent, il se retourna vers la
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