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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres
Autoren: Lucien Rebatet
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bientôt dans les grandes charges du pays.
    Il s’est détaché de nos rangs un certain nombre d’arrivistes qui ont immédiatement composé avec l’ennemi, qui sont pour la plupart perdus sans retour. Mais les meilleurs des nationaux n’ont pas su être ambitieux. C’est une étrange contradiction. Rien ne marche selon leur gré, ils possèdent, à les entendre, toutes les bonnes recettes, pour la politique intérieure, l’extérieure, les colonies, la juiverie, la police, le sport, la finance. Mais quand on leur demande : « Qui voyez-vous donc pour rétablir l’ordre ? », ils restent cois, nomment une ganache ou un trembleur. Ils ne savent pas dire « Nous », comme l’ont dit, depuis cent cinquante ans que la monarchie est abolie, tous les hommes qui ont les uns après les autres occupé le pouvoir, qui étaient le plus souvent de tristes sires, mais qui du moins faisaient leur métier.
    Les nationalistes se plaignent d’être trop peu nombreux. Il est vrai, sans doute. Mais la politique s’est toujours faite avec des alliances. Mussolini sut s’allier aux socialistes, Hitler s’est appuyé sur les partis les plus divers avant de les absorber tous. Le Paris politique d’aujourd’hui s’accorde sur quelques réalités dont chacun reconnaît suffisamment l’importance vitale pour qu’elles servent de première base. Ne pourrait-on pas dire qu’il en va de cette entente comme de celle de l’Allemagne et de la France, dont on vous déclare qu’elle est extravagante, impossible, alors que personne n’a voulu en faire sérieusement l’essai ? Je ne me dissimule pas les torts, les mesquineries des « républicains ». Mais les « fascistes », lorsqu’on avance devant eux des noms, redoutent d’être joués encore par tel ou tel. C’est avoir en soi-même, en ses idées et sa valeur, une bien médiocre confiance, s’avouer d’emblée qu’on n’entraînera, qu’on ne convaincra personne. Les nationalistes ont conservé la vieille manie bourgeoise de l’exclusive, une mine renchérie, une comique pudeur. Certes, on veut bien servir la France, mais on veut avant tout ne point la servir avec l’aide de celui-ci ou de celui-là. La France est remplie de sauveurs qui ne travaillent qu’à leur propre compte. Dans de telles conditions, on ne crée pas davantage un État qu’une usine. On dira, pour s’innocenter, qu’il a manqué un homme. Mais cent gaillards solides remplis de dons, en essayant de réunir leurs forces, s’ils ne remplaceraient pas l’Homme, accompliraient peut-être bien la moitié de sa besogne et lui prépareraient le chemin. Un Directoire, un Comité de salut public, ne valent point une dictature, mais ils sont préférables à la folie, au néant.
    On entend depuis deux ans chez nous un certain nombre de citoyens qui parlent et proposent comme s’ils devaient, en tenant le pouvoir, être beaucoup plus utiles à la France que ceux qui l’ont accaparé. Rien n’est en effet plus vraisemblable. Si ces hommes en sont vraiment convaincus, qu’ils se hissent au pouvoir. Dans l’extrême danger où l’on a mis la France, leur patriotisme doit leur en dicter les moyens. Car ils ne peuvent ignorer que, derrière eux, il n’y a plus rien, que l’anarchie ou la servitude et qu’il est tard. S’ils reculent, tergiversent, ces hommes ne sont pas des patriotes et ne valent pas plus cher que les autres. Ce sont encore des Français de nom. Ce sont de moins en moins des Français de cœur et de volonté.
    Nous ne recevrons certainement pas en cadeau du Jour de l’An, avec la manière de s’en servir, le nouveau régime que nous souhaitons pour la France. Ou bien, ce sera l’étranger qui nous l’apportera. Je suppose que l’on perçoit la différence.
    Nous ne sommes pourtant plus que devant des décombres. Il s’agirait de savoir qui se décidera à prendre la pelle, à conduire les charrettes et les tombereaux, à remettre d’autres pierres les unes sur les autres. Il me semble que l’on pourrait, sans être fou, espérer que la France, au milieu des épopées et des révolutions gigantesques de ses voisines, demeure capable de cet ouvrage assez modeste, que pour lui il existe encore des Français. Il n’en faudrait point tant pour les premiers chantiers.
    J’aspire à être un de ces hommes. Seul, que puis-je ? Je ne fais figure que d’énergumène. Cependant, je me sens Français de la tête aux pieds. Ce serait une étrange aventure que je fusse
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