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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres
Autoren: Lucien Rebatet
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comme une soucoupe. On allait promener ces insignes vers six heures du soir, l’heure de la Flamme, autour de l’Arc de Triomphe. Les porteurs d’églantines rouges venaient aussi. Mais les deux bandes se rencontraient rarement. Flics et gardes mobiles, fidèles protecteurs des marxistes, matraquaient congrûment les tricolores et les refoulaient jusqu’à la hauteur du Fouquet’s où l’on entonnait une Marseillaise prohibée.
    On achetait aussi des drapeaux aux rayons des grands magasins qui n’arrivaient plus à tenir l’article. La grande journée des trois couleurs avait été le 14 Juillet. Deux ans avant, sous le ministère Doumergue, lorsqu’une modeste compagnie d’infanterie avait le malheur de se risquer dans une avenue pas trop déserte, les daladiéristes hérissés criaient à la provocation. Le Front Populaire organisait maintenant une revue monstre, et les communistes bien stylés étaient au premier rang pour acclamer l’armée de la révolution mondiale. Les officiers à particules défilaient cérémonieusement entre les haies de cette crapule qu’un seul canon de 37 braqué sur elle eût mise à genoux. Les derniers chars venaient à peine de passer que de joyeuses familles de juifs [monstrueuses familles de youtres] berlinois remontaient les Champs-Élysées au cri de « Fife lé Vront Bobulaire ». J’en pourchassais quelques-uns en hurlant [« Maul zu ! Juden ! Maul zu !   » {7} ] , ce qui ne laissait pas de les effaroucher un peu. C’était un bien mince dérivatif pour un excité de mon espèce, possédé par l’idée de la guerre civile. J’exultais en découvrant que Stendhal pensait déjà que par elle seule « les Français redeviendraient les hommes énergiques du temps de Henri IV, qu’elle dissiperait notre légèreté et ranimerait notre imagination ».
    Malgré le plus décevant prélude, je ne voulais pas encore désespérer qu’elle éclatât, non par la volonté des nouilles à cocardes, mais à force de gabegie. Révolutionnaire en quête d’emploi, livré aux rêves comme un chômeur, pendant mes longues promenades à travers Paris souillé et morne, je me racontais un livre d’anticipation, avec mes dernières expériences et une morale de ces occasions perdues que je commençais à connaître trop bien. Mais une foule de besognes quotidiennes, infiniment plus pressantes, sinon plus utiles, allaient me solliciter.
    * * *
    Mon ami Robert Brasillach a déjà écrit dans ses grandes lignes l’histoire de Je Suis Partout pendant son hivernage sur la feue ligne Maginot. Je ne vais donc pas la refaire. J’y ajouterai seulement quelques traits.
    Je Suis Partout avait été créé, il y a une dizaine d’années, par Arthème Fayard, qui fut un marchand de papier très ingénieux et très habile. Dans son esprit, ce devait être le pendant de droite du journal bolchevisant Lu qui faisait chaque semaine une abondante revue de la presse étrangère, une sorte de frère cadet, mais plus grave et plus disert, de Candide. Il est amusant de penser que la rédaction en chef avait failli en être confiée d’abord à un Juif russe, André Levinson, d’une culture à peu près infinie, d’une intelligence admirablement aiguisée, rompue à toutes les pensées d’occident – ce qui ne l’empêchait pas d’être d’un caractère foncièrement judaïque –, le seul Juif avec qui j’eusse été fâché de rompre violemment. Mais il eut l’esprit de mourir à temps. S’il est exact que chaque antisémite a son juif, le mien est mort… Pierre Gaxotte, le brillant historien antirépublicain lorrain de Revigny, un des principaux créateurs de Candide , lui avait été finalement préféré.
    À l’avènement de Léon Blum, Je Suis Partout avait déjà cessé depuis de longs mois d’être une sorte de Temps hebdomadaire, érudit et rassis, s’adressant aux messieurs d’âge, gros actionnaires, honorables industriels, qui avaient pu d’abord trouver dans ce journal un respectueux défenseur de leurs portefeuilles. Les études sur la production du nickel ou les dernières doctrines financières des États-Unis y avaient fait place peu à peu à des rubriques de politique intérieure dont le ton ne cessait de monter. Au 6 février déjà, le fascisme de Je Suis Partout sentait le roussi pour la droite comme pour la gauche et manquait de lui attirer l’excommunication majeure del’ Action Française. Les leaders de Pierre Gaxotte étincelaient
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