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Les champs de bataille

Les champs de bataille

Titel: Les champs de bataille
Autoren: Dan Franck
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de la « ficelle » de la Croix-Paquet. Il était arrivé avec une demi-heure de retard. Max et ses deux compagnons étaient alors montés dans le tramway n° 33 qui les avait amenés place Castellane, puis s’étaient dirigés vers la maison dudocteur. Le dossier précisait qu’ils en avaient poussé la porte à quatorze heures quarante-cinq.
    « On les a menés dans la salle d’attente du rez-de-chaussée. Avec les malades venus là pour consulter.
    — Vous saviez qu’ils étaient arrivés ?
    — Non. On les attendait.
    — Combien étiez-vous là-haut ? »
    Hardy réfléchit un court instant et dit :
    « Cinq. »
    Il nomma les cinq.
    « Quand vous êtes entrés, un seul homme était là ?
    — Affirmatif.
    — Vous êtes donc arrivés à quatre ?
    — Trois.
    — Et le quatrième ?
    — Un peu plus tard.
    — En êtes-vous sûr ? »
    Leurs regards se croisèrent.
    « Pas tout à fait, admit l’inculpé. Je n’ai pas de certitude sur l’ordre de nos arrivées.
    — Ni sur le nombre de vos accompagnateurs. Vous avez d’abord dit deux, maintenant, trois. »
    Le juge ajouta : « Nous y reviendrons. »
     
    Il s’est rendu plusieurs fois dans la maison du docteur. Elle est restée ce qu’elle était à l’époque : une bâtisse bourgeoise, meublée à l’ancienne et sans goût. La salle d’attente se trouve toujours au même endroit, à gauche de la porte principale. Un escalier grimpe à l’étage, mais le juge n’y est pas monté. Il s’est longuement attardé dans la pièce où Jean Moulin est entré, s’est assis, a attendu jusqu’au moment où les voitures sont arrivées sur la place. Depuis, il lui est facile de se les représenter, lui et ses deux camarades. Ils sont assis sur des chaises vaguement rembourrées, recouvertes d’un tissu fleuri. Ils observent les autres patients, les napperons sur les guéridons, les rideaux encadrant la porte-fenêtre. Normalement, ils auraient dû rejoindre les cinq de l’étage et commencer la réunion. Mais ils ne connaissent pas la maison et ignorent où se trouvent leurs camarades. Les conjurés forment donc deux groupes, chacun sur ses gardes. Tous savent qu’une anomalie, fût-elle infime, signale un danger possible. Ceux d’en haut ne comprennent pas pourquoi Max est en retard ; ceux d’en bas cherchent une signification à l’absence de leurs camarades. Les premiers partagent en l’énonçant leur inquiétude : ils sont seuls. Les seconds, condamnés au silence par la présenced’inconnus, observent discrètement leurs voisins venus consulter. On imagine les questions qu’ils se posent, l’échange des regards, l’inquiétude grandissante. Ils ne sont pas des patients normaux dans une salle d’attente normale. Ils ne se jaugent pas comme des clients chez le dentiste. Il se peut que les consultants soient des Allemands déguisés en malades. Il faut donc les observer mine de rien . Comme on fait dans la rue, croisant un quidam, dans les restaurants, commandant un plat de marché noir. La vie est ainsi faite depuis trois ans que les trois du bas et les cinq d’en haut ont endossé l’habit double de la schizophrénie résistante. La plupart ont des faux papiers, des recommandations fabriquées, des adresses usurpées. Max, ce jour-là, est Jacques Martel, décorateur. La poche intérieure de sa veste contient une enveloppe renfermant le mot d’un médecin demandant à son confrère de Caluire l’adresse d’un spécialiste des rhumatismes. C’est sa couverture.
    En haut, dans la chambre que le juge n’a pas visitée, ceux qui ne se connaissent pas se présentent. Selon divers témoignages, Hardy montre un Colt. Il assure qu’étant deux fois condamné à mort par les Allemands, il ne se laissera pas prendre si la situation tourne mal. Les autres s’indignent : s’ils viennent, quelleexplication donnera-t-il ? Hardy réplique avec fougue. On se tait. On attend. Tous ont oublié que Max ne l’a pas convié à la réunion.
     
    L’un en haut, l’autre en bas. Ils sont donc les deux acteurs principaux du drame qui va bientôt se jouer.
    Hardy, tout d’abord. Il a à peine plus de trente ans, il est d’un courage exceptionnel, responsable du sabotage des réseaux de chemins de fer. Le juge ignore quelles pensées le traversent à cet instant où son histoire va basculer, et il ne le lui demandera pas : une chance sur deux qu’il réponde par un mensonge. Peut-être ignore-t-il que les Allemands
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