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Les champs de bataille

Les champs de bataille

Titel: Les champs de bataille
Autoren: Dan Franck
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dernier moment sans prendre le temps de vérifier si l’endroit est ouvert, il l’est, la porte glisse devant lui, il fonce sans saluer personne, bouscule un serveur en blouse bleue, descend une volée de marches, traverse les toilettes, pousse une nouvelle porte qui donne dans la rue Jules-Vallès et circule ensuite, plus calme, presque serein, sur les trottoirs du voisinage.
    On l’attend sur les quais. Il donne habituellement ses rendez-vous entre la Conciergerie et le pont Morand, passant d’un interlocuteur à l’autre sans cesser de marcher, comme un promeneur qui croiserait des connaissances. Mais, alors qu’il s’apprête à descendre vers Saint-Michel, il réalise qu’il n’a plus le temps, qu’il lui faut maintenant se hâter vers le funiculaire. Il descend dans la bouche du métro Voltaire, le regard tendu vers le bas, oùs’opèrent habituellement les contrôles. Il passe. Dans les couloirs, un groupe de rappeurs interprète un morceau de slam. Le juge ne s’arrête pas. Lorsqu’il débouche sur le quai, une rame est à l’approche. Il montera en troisième classe, dans le wagon de queue, les seuls autorisés aux Juifs : ainsi marque-t-il sa solidarité avec ce peuple martyrisé. Il s’apprête. Il grimpe. Au dernier moment, alors que les portières se referment déjà, il saute sur le quai, se retourne aussitôt afin de vérifier qu’aucun suiveur n’a fait de même, puis il change de direction, file le long de couloirs qui n’en finissent pas de se croiser ou de se rejoindre, aboutit dans un cul-de-sac où des agents contrôlent les identités des voyageurs. Il stoppe aussitôt. Pivote pour revenir sur ses pas. Se trouve coincé par un flot de personnes pressées qui l’emportent avec elles sans qu’il puisse contenir le courant. Il passe de nouveau, ayant échappé au contrôle. Mais il entend les accents d’une altercation, et, mû par un instinct quasi professionnel, il se dégage. Le juge est là pour arbitrer. Il s’en retourne, se frayant un passage en force. Il perd son feutre qu’une main compatissante retrouve et lui tend. Le terrain se dégage peu à peu, il se retrouve au côté de six nervis en bleu marine qui viennent d’arrêterdeux Blacks et un Beur pour tapage ou fraude aux billets – il ne sait.
    Il se présente : Jacques Martel, décorateur. On ne l’écoute pas. Les vigiles décrochent les menottes qui pendent à leur ceinturon, contraignent les deux Blacks et le Beur à placer leurs mains derrière le dos et ils les attachent, bien serrés, bien humiliés. Le juge s’emporte.
    « Tu veux peut-être les accompagner ? »
    Il s’écrie qu’on n’emprisonne pas, ici, pour tapage ou resquille.
    « Tu crois ça, toi ! »
    L’un des vigiles s’interpose : les vieux, il faut les laisser radoter.
    « Emmenez-moi ! Je témoignerai pour eux ! »
    Il est embarqué avec les trois autres. Poussé dans un fourgon qui démarre aussitôt, sirènes hurlant. Contrairement à ses compagnons d’infortune, le juge n’a pas été menotté. Il frappe aux carreaux, contre les grilles, il crie :
    « Identité nationale ! Je suis Jacques Martel, décorateur ! »
    On lui répond qu’il n’a pas la gueule à porter ce nom-là :
    « Les nègres ne s’appellent pas comme les Français ! »
    Le fourgon pénètre dans l’enceinte du quai des Orfèvres. Jacques Martel gesticule tant,qu’il est menotté à son tour. Les mains devant, privilège sans doute dû à l’âge. Lui qui connaît chaque méandre du Palais de justice, mais dans les étages, est conduit au sous-sol, où s’alignent les souricières. Il est poussé dans un couloir étroit éclairé par un halo pâle. Il titube entre les murs. Le sous-officier s’arrête devant une porte, glisse une clé dans une serrure, déverrouille. Il s’écarte, laissant ses acolytes dénouer les mains de l’homme attaché. Puis il le pousse d’un coup de pied brutal, et le juge tombe sur une ombre allongée au sol. Il reconnaît l’un des rappeurs blacks. Sa tête heurte le mur. La porte se referme. On entend la clé tourner dans la serrure. Le juge s’assied dans un coin de la cellule et il regarde, à travers les grilles, les ombres venir puis s’éloigner dans le couloir. Le tirailleur lui tend un gobelet en fer-blanc contenant un peu d’eau. Il dit :
    « Bois, mon fils. »
    Sa voix est grave et belle.
    « Tu es né le jour de ma mort, mais je te reconnais. »
    Le juge remercie son père, murmure
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