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Les champs de bataille

Les champs de bataille

Titel: Les champs de bataille
Autoren: Dan Franck
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Donc, nous commencerons par Caluire. »
    Hardy éleva les mains en un geste d’apaisement.
    « C’est vous le patron. Offrez-moi un café. »
    Le juge sortit dans le couloir et en commanda deux. Lorsqu’il revint, Hardy s’était levé. Il regardait les clochetons noirs de la Conciergerie. Il avait posé son manteau sur ses épaules. Il ressemblait à un oiseau de proie : la silhouette longiligne, l’œil perçant, le front haut. Sec. Bel homme quoique décharné.
    « J’étais un héros, souffla-t-il comme le juge posait les tasses sur la table, et vous me menottez comme un voleur.
    — Comme l’homme qui a livré Jean Moulin à la Gestapo, rectifia froidement le juge.
    — Vous outrepassez vos fonctions, dit l’autre. C’était l’accusation portée contre moi. Mais la justice m’a blanchi dans cette affaire. »
    C’était vrai.
    « Que je sache, rien ne vous autorise à y revenir. »
    Le juge vida sa tasse.
    « Asseyez-vous », dit-il aimablement.
    Il décrocha son téléphone et convoqua le greffier. Presque aussitôt, un homme en complet-veston entra. Une épingle à cravate barrait sa chemise. Il portait des boutons de manchettes. Il jeta un regard sans expression à René Hardy, le saluant d’un bref mouvement de tête auquel l’autre ne répondit pas. Il s’installa derrière une petite table, en retrait de celle du magistrat. Hardy reprit sa place. Le juge se souvint avec un calme bien-être du bruit des feuilles de papier frappées sur le rouleau pour bien caler le carbone, du coulissement du chariot, du claquement sec du levier de débrayage sur le cylindre. Pendant vingt ans, ces sonorités familières avaient rythmé ses journées d’instruction.
    Il ouvrit le dossier Caluire . Il connaissait l’endroit aussi bien que les chemins qui y mènent. Les arbres sur la place, la mairie, la maison du docteur, en face, haute et massive, avec ses grilles enjambées par un lierre rebelle. Les roses du jardin, la petite porte donnant sur la rue, la place Castellane où errait un cantonnier avant l’arrivée des voitures noires.
    « Nous sommes le 21 juin 1943, dit-il. Il est environ treize heures. »
    Ce jour-là, à cette heure-là, la maison du docteur était comme le cœur d’une étoile vers lequel huit hommes s’apprêtaient à converger.Ils avaient tous des responsabilités majeures dans la Résistance. Max était leur chef. C’était lui qui avait organisé la réunion et l’un des sept autres qui avait choisi le lieu, proche de Lyon, chez un sympathisant. La rencontre avait pour objet de réorganiser l’Armée secrète après l’arrestation de son chef le 9 juin 1943 à Paris.
    Le juge se pencha vers Hardy et lui donna la parole par ces mots :
    « Vous étiez là. »
    Hardy acquiesça avec la mine exaspérée d’un accusé concédant une vétille.
    Le juge demanda :
    « A quelle heure êtes-vous arrivé ?
    — Quatorze heures.
    — Précises ?
    — C’était une loi parmi nous : aucun retard.
    — D’où veniez-vous ?
    — Du funiculaire de la Croix-Paquet. J’avais rendez-vous avec un camarade qui devait me conduire jusqu’au lieu de la réunion. »
    La règle voulait que seuls les organisateurs connaissent l’endroit des rencontres. Les participants se retrouvaient en des points de rendez-vous secondaires d’où on les conduisait à l’endroit choisi. Hardy avait en effet rendez-vous au départ du funiculaire de la Croix-Paquet. Mais pas avec un camarade. Avec deux.Le juge laissa ce point en suspens. Il nota rapidement les autres sur une feuille volante. Le greffier attendait, les doigts posés sur le clavier de sa machine à écrire.
    « Nous avons pris le funiculaire. Mais pas ensemble. Lui le premier, moi le deuxième. Il avait une bicyclette. Il m’avait demandé de descendre ensuite au premier arrêt du tramway 33 : place Castellane. Ce que j’ai fait. Je l’ai attendu. Il est revenu à pied. Il m’a conduit jusqu’à la maison du docteur. Dans le couloir, j’ai vu sa bicyclette.
    — Qui vous a ouvert ?
    — Une femme. A mon avis, elle travaillait avec le docteur. Elle nous a conduits dans une pièce du premier étage. Nous n’étions pas les premiers.
    — Max était là ?
    — Vous savez bien que non. »
    Max était en retard. Il devait amener deux hommes avec lui. Le premier l’avait retrouvé place Carnot. Un tramway les avait conduits au funiculaire. Ils l’avaient pris. Le second devait les rejoindre au terminus
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