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Les champs de bataille

Les champs de bataille

Titel: Les champs de bataille
Autoren: Dan Franck
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Instruction 1
    Dans ses représentations les plus anciennes, l’inculpé dormait lorsqu’il est entré dans la pièce la première fois. Il était allongé sur un canapé, enroulé dans un imperméable mastic. Etrangement, son corps était secoué de minuscules pulsions musculaires, comme une eau frémissante.
    Le juge n’a pas voulu aller vers lui, l’appeler ou toucher son épaule. Il n’est pas facile d’éveiller un homme qu’on hait. Il a laissé la porte ouverte le temps que les mouvements du couloir le sortent de ses cauchemars. L’inculpé a ouvert l’œil aussitôt. Il a vu le juge et a dit :
    « Je me doutais que ce serait vous. »
    Puis il a rejeté son manteau et a élevé les deux mains à la verticale.
    « Vous pourriez me faire enlever ça ? »
    Le juge est sorti. Deux minutes plus tard, un fonctionnaire l’a rejoint. Le magistrat adonné l’ordre qu’on déverrouille les menottes. Lorsqu’il l’a retrouvé, René Hardy était assis face au bureau. Il se frictionnait les poignets d’un mouvement circulaire. Le bureau était presque semblable à celui que le juge avait occupé pendant une vingtaine d’années dans les dépendances du quai des Orfèvres : une petite pièce, deux tables, l’une pour le greffier, l’autre pour le magistrat, deux chaises en vis-à-vis, une armoire métallique contenant le dossier d’instruction, une bouteille de whisky, deux verres. Et cette odeur de javel propre à toutes les administrations publiques.
    Le juge s’est assis en face de René Hardy, les mains posées à plat, se soulevant légèrement pour venir plus près.
    « Nous allons tout reprendre depuis le début. Vérités et mensonges. »
    Une ombre est passée dans le regard de l’inculpé. Une lassitude plutôt qu’une violence.
    « Je suis là, assis en face de vous. Je suppose que c’était votre désir le plus cher.
    — Depuis toujours, oui.
    — Pour me condamner ?
    — Pour instruire.
    — Tout est dans le dossier.
    — Pas seulement. »
    Hardy marqua une lueur d’intérêt.
    « Je suppose que si je suis ici, c’est parce que vous détenez un élément nouveau ?
    — Oui.
    — On m’a déjà fait le coup. »
    C’était vrai. Hardy était sorti de la guerre en héros. Des documents découverts dans les archives allemandes l’avaient ravalé au rang de traître.
    « Cette fois-ci, de quoi s’agit-il ? »
    Il feignait une désinvolture insupportable au juge. Jean Moulin entendu par Klaus Barbie avait-il ainsi ricané ?
    « Reprenons donc depuis le début, puisque vous l’entendez ainsi. »
    Hardy regarda le juge de biais et ajouta :
    « A force, je ne sais plus très bien qui je suis.
    — Expliquez-vous.
    — Imaginez que vous avez trente-cinq ans… »
    Il en avait trente-six.
    « … A vingt-huit ans, quand la guerre éclate, vous êtes instituteur dans l’Orne… »
    Il était sorti de l’Ecole normale après avoir suivi les cours d’officier de réserve de Saint-Cyr.
    « … Vous devenez lieutenant dans une brigade d’infanterie. Vous refusez l’armistice, vous tentez en vain de rallier l’Afrique du Nord,vous vous retrouvez quasi-fonctionnaire à la gare Montparnasse où vous faites du renseignement militaire… »
    Il avait en effet fourbi ses premières armes de résistant à cette époque et dans ces circonstances.
    « … Les Boches vous repèrent, donc vous fuyez, vous embarquez sur une coquille de noix pour rallier Londres, et vous vous faites arraisonner en pleine mer… »
    Le juge le coupa. Il connaissait tout cela. Hardy avait été arrêté, traduit devant le tribunal militaire de Toulon, condamné à quinze mois de prison pour désertion et atteinte à la sûreté de l’Etat. A sa sortie, il avait rejoint les rangs de la Résistance.
    « N’est-ce pas là le parcours d’un héros ?
    — Certainement, répondit le juge en soutenant le regard un peu méprisant que l’autre lui lançait. Mais ce n’est pas le plus important. »
    Il se leva, ouvrit l’armoire métallique où il avait classé ses archives et en sortit un classeur volumineux. L’inscription Caluire en barrait la couverture. Hardy soupira :
    « Caluire est une fin, dit-il en désignant le classeur d’un mouvement du menton. Caluire, c’est juin 1943. Or, la guerre commence en1940. Voulez-vous savoir où je me trouvais quand les Boches sont entrés dans Paris ?
    — S’il n’y avait pas eu Caluire, objecta le juge, vous ne seriez pas là.
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