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Les Amants De Venise

Titel: Les Amants De Venise
Autoren: Michel Zévaco
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repris sa place dans le fauteuil, et son
regard vide se fixait droit devant lui, comme s’il eût voulu noter
les coups qui allaient se porter.
    Léonore, agenouillée, cachait sa tête sur les genoux du
vieillard, pour ne pas voir…
    Altieri avait ramassé le poignard.
    Alors seulement, il vit bien Scalabrino, avec sa stature
colossale, son œil terrible, sa figure calme, ses cheveux collés au
front par l’eau de mer.
    Altieri eut un mouvement brusque comme pour se précipiter sur
lui.
    Mais ce mouvement ne s’acheva pas.
    Peut-être le formidable aspect de Scalabrino noya-t-il son âme
en quelque découragement mortel.
    Il se tourna vers Léonore, et, tragique, secoué d’un tremblement
convulsif, d’une voix éteinte, il dit :
    « Je meurs ; soyez heureuse puisque votre bonheur sera
fait de ma mort !… Mais en mourant, je vous maudis… soyez
heureuse… soyez damnée ! »
    En même temps, il eut un regard désespéré, et, levant le
poignard, il s’en frappa violemment.
    Un instant encore, il demeura debout, dardant sur Léonore des
yeux de haine atroce.
    Puis, brusquement, il tournoya sur lui-même, et s’abattit, sans
un souffle.
    Ses yeux demeurèrent ouverts et une étrange expression de menace
parut s’y cristalliser, comme si Altieri mort eût été encore agité
des mêmes sentiments violents qui avaient conduit sa vie.
    Scalabrino jeta son poignard et s’approcha de Léonore
prosternée, anéantie…
    « Signora… dit-il doucement, tout est fini… vous êtes
délivrée…
    – Qui êtes-vous ? demanda le vieux Candiano.
    – Un ami de Mgr Roland Candiano… un ami de la signora…
un de vos amis…
    – Roland ! fit le vieillard d’une voix où vibrait une
douleur – donc, une intelligence ! Roland !… Où
est-il ?… Où est mon fils ?…
    – Votre fils ! s’exclama Scalabrino haletant. Vous
dites bien : Votre fils !… Vous savez donc !… Vous
comprenez donc !… »
    Deux larmes coulèrent lentement sur les joues flétries du vieux
doge qui baissa la tête…
    « Mieux eût valu pour moi que je ne recouvre jamais la
mémoire… Je me souviens, hélas !… Et dans la mémoire qui se
lève au fond de ma nuit comme une aube livide, je ne vois que
douleurs, deuils et épouvante… Mon fils ! Mon fils !
continua-t-il avec un sanglot. Sans doute, il se désespère au fond
d’un cachot !… Mon fils !… Roland, Roland, où
es-tu ?… »
    Scalabrino allait parler, dire tout ce qu’il savait, l’évasion,
la longue lutte, la révolution dans Venise…
    À ce moment, deux hommes entrèrent dans la salle.
    L’un était le vieux Philippe.
    L’autre, Gianetto.
    Celui-ci vint droit à Scalabrino, et lui dit :
    « Il est urgent que je voie le maître…
    – Pourquoi ?
    – Cette lettre…
    – Donne ! »
    Scalabrino saisit la lettre – la lettre écrite par l’Arétin sous
la dictée de Dandolo à son lit de mort. Il la parcourut d’un trait,
étouffa une sorte de rugissement…
    « Vous deux, dit-il à Gianetto et à Philippe, veillez sur
la signora… empêchez-la de sortir… ne la laissez pas
seule… »
    Puis, saisissant le vieux Candiano par le bras :
    « Vous voulez savoir où est votre fils ! Vous voulez
le toucher, le voir avec vos mains, avec vos baisers… puisque vous
ne pouvez le voir avec vos yeux… Eh bien, venez avec
moi !…
    – Mon fils ! Mon fils ! haleta le doge.
    – Venez ! venez !…
    – Mon père ! ne m’abandonnez pas ! sanglota
Léonore.
    – Venez ! Venez ! » répéta Scalabrino en
entraînant le vieillard, tandis que d’un coup d’œil, il
recommandait encore la vigilance à Philippe et à Gianetto.
    Léonore, toujours agenouillée, laissa tomber sa tête sur le
fauteuil, et, à bout de forces, sa vaillante nature brisée, se prit
à pleurer… pleurer sans fin.
    Philippe, avec une force et une promptitude décuplées par
l’émotion, saisit le cadavre d’Altieri et l’entraîna au-dehors…

Chapitre 32 SUPPLICE DE FOSCARI
    Nous revenons maintenant sur le pont des Soupirs.
    Foscari avait été enchaîné sur la chaise de pierre où neuf ans
auparavant il avait fait enchaîner le doge Candiano pour lui
infliger l’horrible supplice de l’aveuglement.
    Mais même à ce moment il n’avait pas abdiqué son orgueil.
    Son regard, empreint d’une sauvage expression de haine, se
fixait sur Candiano.
    Ce masque de sérénité majestueuse dont pendant si longtemps il
avait recouvert sa physionomie,
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